Town Centre
Squid
Ne pas s’emballer. Surtout ne pas s’emballer. D’abord parce que l’on parle ici d’un EP et que ce format doit être pris pour ce qu’il est : un apéritif. Ça se saurait si une poignée de Cheetos et quelques rondelles de Justin Bridou remplissaient un estomac. Ensuite parce que le post-punk a tellement le vent en poupe qu’on guette le moment où l'offre dépassera la demande, où la quantité prendra le pas sur la qualité. Enfin parce que sur les quatre titres que comptent Town Centre, le premier est une longue introduction vaporeuse et le dernier le genre de complainte dépressive qui fait du bien à la fin d’un disque qui nous a matraqué les tympans pendant les 40 minutes qui précèdent.
Mais voilà, au milieu, Squid a déposé deux bombes : « Match Bet » et « The Cleaner ». Deux titres pour nourrir les espoirs les plus fous, pour convoquer des influences qui s’éloignent des habituels Wire, The Fall ou Joy Division dont se revendique une bonne partie de la nouvelle génération. En même temps, le parcours des Anglais allait forcément les mener vers quelque chose de différent : si aujourd’hui ils ont bien mérité les comparaisons avec les Talking Heads, Devo, ESG et tous ces groupes qui faisaient vraiment avancer le schmilblick à l’époque, c’est peut-être parce que ses membres se sont vautrés dans de précédents projets (dont un groupe de reprises de jazz et de soul) pour finalement se retrouver autour d’un amour partagé pour le premier album de Neu! (coucou les rythmiques motorik) et le catalogue d’ECM Records (coucou les cuivres judicieusement placés sur « Match Bet »).
Un parcours bien accidenté, finalement à l’image d’une musique qui a les progressions linéaires ou la routine en sainte horreur. Une philosophie qui est particulièrement évidente sur « The Cleaner », épique morceaux à tiroirs que l’on classera définitivement parmi les titres les plus jouissifs et libérateurs de 2019. Et puis il y a ce sentiment d'urgence permanente qui anime le disque, et que l'on imputera autant à la jeunesse de ces Londoniens d'adoption qu'aux talent de leur producteur Dan Carey (Kate Tempest, black midi, Fontaines D.C.), dont l'éthique de travail avec son label Speedy Wunderground permet aux artistes qu'il prend sous son aile de lâcher la bride sans que cela ne tire le songwriting vers le bas. On avait promis de ne pas s'emballer. Ben c'est loupé.