Tough Baby

Crack Cloud

Meat Machine – 2022
par Antoine G, le 28 septembre 2022
8

Crack Cloud est le meilleur groupe punk de ces dernières années. Une affirmation qui demande néanmoins de répondre à une question : le collectif canadien est-il véritablement punk ? Car le superlatif n’a pas besoin d’être justifié, au moins depuis leur fantastique premier album Pain Olympics, réussite compacte et puissante parue comme un phare en pleine pandémie. Avec ce deuxième disque, il est évident que le groupe est des plus passionnants. Peut-être grâce à sa nature spéciale : plus qu’un groupe, Crack Cloud se veut une communauté de réhabilitation de jeunes traumatisés ou addicts, comptant finalement des dizaines de membres. Basé notamment sur une idée d’art-thérapie, son versant musical voit donc passer et venir ses membres autour d’une personnalité unique, Zach Choy, auteur de toutes les chansons. Pour autant, la dimension collective du projet est claire dans chaque titre, par la présence de grands chœurs élégiaques ou l’impressionnant kaléidoscope d’influences présent dans chaque titre.

Car, à nouveau, on traverse en 37 minutes une quantité délirante d’univers différents, s’entrechoquant voire se superposant. Combiné à une approche maximaliste des émotions, cela donne un album renversant. Tout est résumé dans le premier titre, “Danny’s Message”, démarrant sur un enregistrement du père de Choy, emporté par une leucémie quand son fils était encore enfant. Avant sa mort, il a laissé en héritage des chansons, poèmes et instruments, et invite ses enfants à s’en servir pour déverser leurs émotions. Notamment la colère.

Plus encore que les émotions, ce sont toutes les envies des musiciens qui sont déversées sans retenue ici. Par des bascules saisissantes, on explore toute une diversité de champs, de la pop au metal, du prog au rap, le tout avec des touches gospel ou jazz. Arcade Fire rencontre Linkin Park rencontre Devo rencontre PJ Harvey rencontre Roxy Music rencontre Kanye West… à l’infini. Le tout dans des structures qui osent tout, comme ce final de “Please Yourself” sur un solo de piano presque aussi long que le reste du morceau, ou cette impressionnante montée en tension dans l’impressionnant “Criminal”. Sans aucune baisse de régime.

Ce qui nous ramène donc à notre question : au nom de quoi Crack Cloud est-il un groupe punk ? Certes, l’influence de grands noms post-punk est claire sur la rythmique affolante de “Virtuous Industry”, ou les riffs anguleux de “Crackin Up”. Mais cela ne rend que plus manifeste son absence dans le reste du disque : dans son esthétique, Tough Baby n’est pas plus punk que prog ou pop. Pourtant, l’affirmation première doit être maintenue : Crack Cloud est le meilleur groupe punk du moment. Car il adapte à l’ère boulimique du streaming les principes fondamentaux du punk. Celui d’un genre de foutus. De laissés pour compte exprimant leur totale angoisse face à un monde encore plus ravagé qu’eux. Notre époque révèle justement le vrai visage du punk : non pas un mouvement nihiliste, mais un safe space pour gens perdus. Un lieu où crier sa colère, son désarroi, son cynisme ; sans jamais avoir honte de qui l’on est.

Le goût des autres :