Tons of Friends
Crookers
La scène se passe le 13 novembre 2010, dans l'Orange Room du Flanders Expo de Gand, où des dizaines de milliers de clubbers se sont amassés pour la grand messe I Love Techno. Tête d'affiche dans une salle qui réunit le meilleur (ou le pire) de la fidget qui tâche (Fake Blood, Don Rimini et on en passe), les Crookers prennent la salle d'assaut pour ce qui est considéré par des hordes de kids boutonneux comme LE moment de la soirée à ne pas manquer. Les deux Italiens, dont la réputation n'est plus à faire, sont passés maître dans l'art du set qui tabasse sa race et enchaîne les bangers dopés au filtre scandaleux. Pourtant, à la surprise générale, les Crookers ouvrent leur set en mode mineur, avec un morceau certes pas mal foutu, mais loin de transformer le dancefloor en champ de bataille braveheartien en quelques coups de basses putassières comme il faut. Normal, ce titre, "We Love Animals", est produit par les (désormais) vétérans de Soulwax et ressemble plus à une bonne face B de Nite Versions qu'un futur classique des sets de MSTRKFT ou de Steve Aoki. Réaction assez mitigée des kids. Qui risquent par ailleurs de tirer une drôle de tête quand ils entendront ce Tons of Friends, le premier album des Crookers après quelques passages remarqués par la case EP.
En effet, là où le fan lambda s'attendait plus que probablement à un disque dans le droit fil de l'insupportable soupe servie il y a quelques mois par leurs compatriotes des Bloody Beetroots, Phra et Bot semblent bien décidés à prouver au monde entier qu'une fois en studio, ils peuvent produire autre chose qu'une fidget house pour mélomanes qui ont découvert la musique électronique grâce à la clique Ed Banger. Et histoire de donner un tant soit peu de crédibilité à l'ensemble, le duo transalpin a convié à cette petite sauterie une liste impressionnante d'invité – en gros, au moins un sur chacune des 19 plages que comptent l'album. On ne va pas vous passer en revue la guestlist, mais sachez quand même que des pointures comme Kelis, Spank Rock, Roisin Murphy, The Very Best ou Major Lazer ont quand même accepté de voir leur nom figurer au tracklisting du judicieusement nommé Tons of Friends.
Et c'est probablement là que le bât commence à légèrement blesser. En voulant s'éloigner du son qui a fait leur renommée, les Crookers ont jugé bon de s'aventurer sur des territoires qu'ils connaissent peut-être un peu moins bien, mais qu'ils pensaient nécessaire d'explorer histoire de se mettre sur la même longueur d'ondes que certains de leurs prestigieux invités – quand certains d'entre eux n'ont pas participé à l'écriture des morceaux. Ainsi, le duo joue la carte de la dance house lorsque la diva Roisin Murphy se pointe, de l'electro-pop très second degré quand c'est Yelle qui s'y colle ou de l'Afrique bigarrée quand The Very Best déboule.
Mais pour être parfaitement honnête, aussi fatigants les Crookers puissent-ils être derrière les platines, descendre Tons of Friends en flèche relèverait d'une mauvaise foi certaine. Car ce disque est loin d'être la fatigante agression que d'aucuns avaient prédit – le duo allant même jusqu'à convier Tim Burgess des Charlatans sur un blues electro pas totalement convaincant, mais qui a au moins le mérite de témoigner d'une certaine ouverture d'esprit. Le problème principal de Tons of Friends réside plutôt dans le mauvais équilibrage entre qualité et quantité. Sur les vingt titres présents sur Tons of Friends, un bon tiers se révèlent inutiles, notamment lorsque des stars planétaires comme Will.I.Am ou Pitbull donnent la légère impression de venir cachetonner plus qu'autre chose. Par contre, quand on s'aventure du côté des seconds couteaux de luxe comme Rye Rye ou Spank Rock, les titres se découvrent une véritable âme, et derrière le mode rouleau compresseur si cher au Crookers, on sent l'amour du travail bien fait et de la production electro/hip hop faite pour taper juste.
A l'arrivée, le constat est moins catastrophique qu'annoncé, puisque ce Tons of Friends lorgne davantage du côté de la bonne surprise que de l'amère déception dans le chef d'un duo qui n'aura jamais ménagé ses efforts pour nous courir grave sur la haricot – leur seul remix du "Day 'n' Nite" de Kid Cudi constituant à lui seul un crapuleux élément à charge. Certes, les amateurs de délicatesse n'y trouveront pas vraiment leur compte, mais à l'écoute de certains titres, on se dit que l'on tient peut-être là des producteurs promis à un bel avenir. Dans l''intervalle, on leur conseillera quand même de ne pas vouloir en faire des caisses à tout prix, parce qu'avec un disque de septante minutes impossible de s'enfiler d'une traite, les Crookers nous tendre un peu trop facilement le bâton pour se faire battre.