Tomorrow Morning
Eels
Ca ne saute peut-être pas aux yeux, mais c’est la première fois qu’un titre d’album pondu par Mark Oliver Everett évoque la possibilité d’un lendemain. Et rien que pour cela, il y a moyen de propulser très haut le sourcil en se grattant le menton. Aujourd'hui, le blues des mauvaises passes semble très loin derrière poiur un « oncle E » qui aurait trouvé son second souffle (et l’amour dirait-on) sur un Tomorrow Morning désireux de clôturer sur un ton positif le triptyque entamé l’an passé avec Hombre Lobo et End Times.
Il faut dire qu’on en a beaucoup discuté sur GMD de cette trilogie du renouveau. Pour ou contre ? Est-ce que « E heureux », ce n’est pas un peu une sorte de contresens manifeste comme « Brian Molko amusant » ou « Billy Corgan modeste » ? A ce sujet, beaucoup avouent avoir laissé tomber l’affaire dès le gargantuesque Blinking Lights and Other Revelations dont la taille était le symptôme d’une hyper-productivité inhabituelle. Pourquoi E, qu’on savait si pointilleux, se mettait-il tout d’un coup à accumuler compulsivement autant de titres sur un double aussi peu digeste ? La question est d’autant plus épineuse qu’à partir de ce moment, la production du barbu a eu tendance à s’homogénéiser dangereusement. Il fallait désormais creuser un moment avant de trouver ‘la balade qui tue’ au milieu de tous ces fragments eelsesques de même calibre.
On aurait pourtant été bien bêtes d’en rester là. Si Hombre Lobo, par exemple, n’avait pas la mine déconfite de ses illustres prédécesseurs, on a eu tôt fait de se rendre compte qu’il possédait des atouts massifs comme « That Look You Give That Guy » ou « The Longing ». Idem, a vrai dire, pour End Times et le présent Tomorrow Morning. A titre d’exemple, même si « I Like the Way This is Going » ne donne pas spécialement envie de boire un bidon de White Spirit, ce titre reste une superbe balade qui n’a rien à envier aux classiques d'antan. Pareil pour « Spectacular Girl » ou « This is Where it Gets Good » qui ne sont pas sans rappeler les expérimentations électroniques d’Electroshock Blues (sans les relents de couloir d’hôpital). Autant de titres qui sonnent très bien, très Eels aussi, et qui méritent qu’on les prenne au sérieux.
S’il y a une constante dans l’œuvre de Everett, c’est l’honnêteté du bonhomme, qui vit littéralement à travers ses titres. Que ce soit sa déprime, sa mélancolie ou ses bons moments, tout est transposé aussitôt en musique - une façon de faire le ménage par le vide. C’était cette magie de la conte-vérité qui faisait la grandeur des bluesmen d’antan, c’est elle qui continue à faire d’Eels un groupe aussi magique.