Today & Tomorrow
Sault
La trajectoire empruntée par Sault est aussi frustrante que remarquable. Frustrante car le projet pensé et drivé par Inflo propose une formule neo-soul / gospel qui pourrait toucher un très large public si le groupe acceptait de se conformer, ne serait-ce qu’un tout petit peu, aux exigences de l’industrie. Et remarquable car en optant pour une discrétion inversement proportionnelle à sa productivité, en ne communiquant pas sur l’identité de ses membres, en refusant les concerts et la promo, Sault joue un jeu qui pourrait être dangereux si leur travail n’était pas inattaquable : depuis 5 et 7 en 2019, la constance a toujours été au rendez-vous. Et alors qu’on pensait que la troupe se contenterait de l’acclamé Air pour l’exercice 2022, il a sorti en novembre, sans explication mais avec une grosse contrainte (un mot de passe pour y accéder dans un premier temps), la bagatelle de cinq albums.
Au-delà de la quantité et de la qualité, ce qui impressionne dans le chef de Sault, c’est la variété que la formation britannique est capable de proposer. Et cette variété, c’est dans les guitares mal dégrossies et le jeu de batterie parfois maladroit de Today & Tomorrow qu’on la trouve. En effet, tandis que Untitled (God), Aiir, Earth et 11 s’inscrivent dans la continuité du travail léché qu'a proposé Sault ces 3 dernières années, Today & Tomorrow représente une forme de rupture dans le continuum en ce sens qu’il voit Sault sortir pour la première fois du pré carré verdoyant et luxuriant dans lequel il batifole : et si l’on sent le groupe toujours aussi attaché à une forme de spiritualité et de pensée positive dans ses textes, ses accointances nouvelles avec le punk et le post-punk nous offrent une perspective nouvelle sur sa musique – un peu moins snowflake et davantage en phase avec une époque où, plus que jamais, ombre et lumière se livrent une âpre bataille.
Dans un irrespect totalement punk du qu’en-dira-t-on, le collectif prend le risque de s’aventurer sur des territoires dont il maîtrise moins bien les codes, et par moments, on frise la patauderie. Et à l'inverse, quand tout se met en place, comme sur « The Jungle » par exemple, la musique de Sault donne tout son sens à l’expression clair-obscur. Et quand le groupe lâche carrément les chevaux, on se dit que les Bad Brains ne devaient pas être bien loin dans le studio, probablement en train de jeter un regard malicieux sur des gens qui tellement le nez dans le guidon qu’il ne doivent probablement pas avoir conscience du bien qu’il sont en train de faire à la musique.