Through The Windowpane

Guillemots

Universal – 2006
par Popop, le 21 février 2006
9

Voilà donc le disque tant attendu, celui par lequel viendra la rédemption, celui par lequel disparaîtront tous les clivages, se tairont toutes les voix dissonantes et communieront tous les peuples de la Terre dans une harmonie parfaite. Voilà donc le sauveur, capable de fédérer esthètes pop, amateurs de samba, folk addicts et autres enfants du retour du Saint-Père (plus connu sous le nom de 'rock' par les béotiens et autres païens). Voilà donc le vrai premier disque des Guillemots, propulsés sur le devant de la scène musicale autant que médiatique sur la seule foi d’une poignée de singles compilés (avec faces-B, comme à la grande époque) sur le EP inaugural From The Cliffs (encensé un peu partout et disponible dans toutes les bonnes crèmeries avec moult stickers – Inrocks et Télérama en tête).

Comment ne pas trembler d’impatience ? Comment ne pas se laisser submerger par la fébrilité avant d’introduire la sainte galette dans le divin lecteur ? Comment ne pas craindre le pire après avoir lu tout et son contraire sur ces trois garçons et une fille dans le vent ? Et comment résister à l’émotion qui surgit dès les premiers accords ? Car voici venir un joli conte de fée, une histoire aussi belle sur le papier que dans la réalité, une légende à transmettre de génération en génération, de grand-père chevrotant en petit-fils aimant (ou pas) au coin de la cheminée lors des longues soirées d’hiver. L’histoire d’un groupe enfin à la hauteur des espoirs les plus fous placés en lui. Car il ne s’agit pas d’une surprise complète comme le fut Funeral de The Arcade Fire qui arriva sans crier gare un beau jour d’automne 2004. Il ne s’agit pas non plus de la confirmation tant attendue d’un talent déjà émergent depuis un certain temps, ni même d’un secret bien gardé. Ici, nous avons à faire à un album attendu par quantité de gens, précédé d’une réputation plus que flatteuse, et de fait candidat idéal au ramassage de gueule en bonne et due forme.

Maintenant que l’on est redescendu sur terre, que l’on a remis les choses en contexte, examinons les faits : que propose donc de si génial Through The Windowpane et que n’auraient pas les milliers de disques qui inondent le marché chaque mois ? Eh bien absolument tout. Ou plutôt quasiment rien si l’on est rationnel : peu de trouvailles si ce n’est quelques rythmes latinos perdus au milieu d’une pop-song 100% british, des pluies de cordes à faire fuir les plus fervents défenseurs de The Divine Comedy et une voix éreintante lorsqu’elle cherche à monter trop haut (ce qu’elle fait assez souvent). Mais comme 'rationalité' est un terme banni par tout amateur de musique qui se respecte, ce premier album de Guillemots risque vite d’accéder à un statut 'culte' à peine usurpé. Je dis à peine car on n’est pas non plus en présence d’un chef-d’œuvre sans aucune faiblesse et à ranger immédiatement aux côtés d’un Forever Changes ou d’un Pet Sounds. Non. Nous sommes juste en présence d’un disque traversé d’éclairs de génie, bourré de mélodies futées et de bonne humeur, réussissant le grand écart parfait entre le lyrisme de Rufus Wainwright et la pop aérée des Super Furry Animals. Et surtout, les sommets de ce disque (une bonne grosse moitié des compositions) sont de ceux vers lesquels on retourne inlassablement, en usant et abusant de la touche 'repeat'.

Si tout le monde ou presque est désormais familier avec les deux premiers singles du groupe, les épatants "Trains To Brazil" et "Made Up Lovesong #43" déjà présents sur From The Cliffs, et s’est sans doute forgé à partir de là sa propre opinion, ce premier album fourmille de surprises qui devraient prendre à rebrousse-poil pas mal de sceptiques. Dès le premier morceau, l’élégant "Little Bear", le ton est donné : à mi-chemin entre Tindersticks et David Gray (pour les intonations de voix), le titre se permet le luxe d’être immédiatement accessible au commun des mortels et de subjuguer les plus exigeants d’entre nous. Il en va de même pour "If The World Ends", sublime valse située à mi-chemin qui permet à Guillemots de tutoyer des cimes rarement atteintes par les esthètes du genre, feu Elliott Smith en tête. Mais loin de se complaire dans un seul registre, l’album emprunte des chemins de traverse dès qu’il le peut : ainsi la chanson-titre lorgne-t-elle vers la world music (affreux terme fourre-tout qui reprend ici ses lettres de noblesse) tandis que l’autre single, le parfait "We’re Here", renvoie dos à dos Brian Wilson et Robbie Williams (l’un à ses chœurs, l’autre à ses refrains).

Enfin, comment clore ce tour d’horizon sans parler des douze minutes de l’épique "Sao Paolo", renfermant trois chansons en une dont 50 secondes de samba endiablée, servie par des tonnes de cuivres et de cordes. Ce titre, que l’on imagine déjà vital sur scène, est la quintessence même de la musique rêvée par Fyfe Dangerfield : un condensé de beauté, de poésie, de fun, de mélancolie, une véritable thérapie en musique par laquelle le chanteur illuminé exorcise ses démons. Et si tout n’est pas du même acabit ici (on pense notamment au fatigant "Blue Would Still Be Blue"), il n’en reste pas moins que Through The Windowpane est un grand disque, à la fois classique et aventureux, moderne et passéiste, humble et arrogant. Une somme de contradictions tellement humaines qui donne envie de se laisser happer par chaque note de musique.

Le goût des autres :
8 Jeff 7 Nicolas 10 Splinter