Three Bells
Ty Segall
« Qui a encore envie de lire l’avis de Pitchfork sur le dernier Ty Segall ? » se demandait Bester Langs dans un article consacré à la dilution du plus célèbres des webzines dans GQ. Si nous avons encore envie d’envisager un avenir pour la critique musicale si celle-ci parvient à être autre chose qu’une page Wikipédia sur laquelle on vient tartiner un peu de sa personnalité, pondre plusieurs milliers de signes sur un type qui en est déjà à son quinzième album solo en presque autant d’années semble aussi utile qu’inviter un intellectuel de gauche dans une émission de Pascal Praud. Bien sûr, il y a toujours des angles originaux à explorer, mais quand on s’attaque à artiste sans histoire dont la fanbase a cessé de se renouveler il y a 10 ans, à quoi bon ? Poser la question, c’est peut-être y répondre. Mais partons du principe que si vous êtes arrivés jusqu’ici, c’est que vous êtes disposés à vous infliger quelques paragraphe de plus.
Premier élément à prendre en compte si vous avez moins écouté Ty Segall ces dernières années, ce dont on ne pourrait vous tenir rigueur vu sa productivité : l'Américain a arrêté de rouler à tombeau ouvert sur les routes mal asphaltées du rock garage. Bref, si on se réjouit qu’il ait retrouvé un peu d’allant après un Hello, Hi qui bandait un peu mou, le Ty de Melted ou Goodbye Bread n’est plus. Et si la frénésie a laissé la place à une espèce de décontraction, il reste ce petit génie du garage psyché dont les marottes continuent de colorer l’œuvre : la perfection mélodique si chère aux frères Davies, l’énergie brute du MC5, la lourdeur des riffs de Tony Iommi ou l’excentricité de Marc Bolan structurent son ADN. Partant de là, chaque album est généralement l’occasion pour lui de jouer sur les dosages. En tout cas, sur Three Bells, cela faisait longtemps que ceux-ci n’avaient pas semblé aussi équitablement répartis.
Cet album aurait tout à fait pu avoir des airs de long fleuve tranquille, et vu les qualités de songwriting sur lesquelles il s’appuie, personne ne s’en serait plain. Mais Ty Segall n’oublie jamais de laisser parler le mauvais génie du rock qui sommeille en lui, celui qui l’encourage à sauter à pieds joints dans la flaque plutôt que de gentiment la contourner. D’apparence lisse et linéaire, Three Bells regorge en réalité de hausses subites du rythme cardiaque, de cassures rythmiques et de dérapages contrôlés qui confèrent à l’ensemble un caractère assez jouissif chez ceux d’entre vous qui accepteront de laisser sa chance à un disque qui se bonifie avec les écoutes successives – on vous rassure quand même, il y a aussi des titres à l’efficacité immédiate, comme le redoutable « My Room ». Mais si cette chronique avait commencé par une question, elle se terminera sur une autre : en 2024, qui a encore le temps de s’infliger 5 ou 10 écoutes d’un même disque avant d’en retirer un réel plaisir ? Poser la question, c’est peut-être aussi y répondre.