This Is All Yours
Alt-J
On a du vous bassiner pendant deux ans avec le nouveau phénomène Alt-J, cet OVNI parfois haï mais souvent porté aux nues comme la nouvelle sensation pop expé. Pour faire court et éviter de reproduire la sempiternelle chronique du "toujours difficile second album", on va se contenter de planter le décor rapidos: Alt-J a remporté le prestigieux Mercury Prize en 2012, ce qui a contribué à offrir une nouvelle vitrine à ces quatre mecs à la sensibilité exacerbée et dont l'honnêteté artistique continue de stupéfier. Ce succès commercial et -en partie- critique a toutefois fini par avoir raison de l'équilibre du groupe puisque le bassiste originel a décidé de rendre les armes juste avant l'enregistrement du second album, terrassé par la pression.Parler d'un raz-de-marée émotionnel serait un petit peu excessif dans ce cas-ci, mais il n'est tout de même jamais évident pour un groupe de voir partir un membre compositeur. Il a donc fallu prendre le taureau par les cornes, et on ne peut que tirer notre chapeau aux trois survivants, non sans avoir toutefois perdu un peu de leur panache, comme nous allons le voir maintenant.
Car il faut le dire, ce This Is All Yours est assez inégal. Plus précisément, on peut dire que le très bon y côtoie le moyen, voire le carrément fadasse. Ainsi, c'est après deux morceaux que l'on a l'impression de retrouver le Alt-J qui nous avait fait hurler aux étoiles, sur le très beau morceau "Nara" - un hommage à une ville du Japon où le cerf est considéré comme un être sacré et où l'animal circule librement parmi les habitants. Le problème, c'est qu'on met du temps à arriver à ce foutu pays de cocagne. Sur le chemin, on y croise des "lalala" et des "hey hey" samplés à l'infini et multi-pistés à l'excès, tandis que le titre "Arrival In Nara" ne suscite à l'oreille qu'une envie : quitter ce mauvais trip de folk niais et minimaliste qui manque cruellement de mélodies. Alors nous voilà à "Nara", le son des cloches et des orgues nous imprègne sur fond d'"Alleluia". Comme si les moines de Maredsous s'étaient foutus en tête l'idée de faire de la pop expérimentale, en faisant venir leurs potes tibétains pour mieux se fendre la pipe et enrichir la soupe. Et si tu veux un peu balancer de la tête, mais que t' as quand même peur de te la décrocher ? Thom Green est là pour toi, frère. Il va t'installer dans un bon gros pouf et te bâtir une section rythmique plus confortable que le ventre de ta mère, avec ce son métallique qui nous avait déjà fait pouffer d'aisance sur le premier album.
Mais voilà que les moines se défroquent. "Every Other Freckle" déboule peinard avec ses samples "hey hey" qui rythment le morceau avant d'entamer un petite gigue irlandaise, sans que cela puisse choquer le moins du monde. La cervelle de ces types fourmille d'idées, et si on louait déjà leur capacité à intégrer une instrumentation riche avec des sonorités extra-occidentales sur leur premier album (le Maghreb pour "Taro", les Caraïbes pour "Dissolve Me"), les gars d'Alt-J s'imposent définitivement ici comme les papes de la "pop-worldbeat". Mais quand on a enfin la certitude d'avoir cerné l'essence de ce qui fonde ce groupe, voilà qu'arrive le gargantuesque "Left Hand Free", un blues-rock tribal que n'auraient pas renié les Black Keys et, semblerait-il, une authentique ode à la masturbation, voire au meurtre : "Well your left hand's free/ And your right's in a grip/With another left hand/Watch his left hand slip/Towards his gun". A chacun de tirer ses conclusions. Toujours est-il que les bonnes chansons se poursuivent avec l'ambitieux "Hunger Of The Pine" et sa coda utilisant un vers d'Alfred de Musset ou ce fameux sample de Miley Cyrus qui a fait couler tellement d'encre.
Maintenant, il faut mentionner les bizarreries et les ratés comme les ballades "Choice Kingdom", "Pusher" et "Warm Foothills" qui donnent presque envie d'aller se taper la tête sur le lampadaire du bas de la rue. Tout ce joyeux voyage dans la tête de ces illuminés a le mérite toutefois de se terminer sur des notes positives avec l'excellent "The Gospel Of John Hurt" et avec la seconde partie de "Bloodflood" dans le texte duquel Newman glisse un malicieux "Assassin de la police" que seul un auditeur attentif pourra déceler. Au final, Alt-J n'a pas à rougir de sa deuxième livraison. Celle-ci déborde de subtilités et d'audaces instrumentales, tout en conférant à sa musique une gravité spirituelle qui pointait déjà le bout de son nez dans le premier album. L'on pourrait prendre en grippe la relative pauvreté du matériel mélodique, mais la présence des trois singles précités devrait suffire à établir Alt-J comme un acteur phare dans les nouvelles directions que prend l'histoire de la pop actuellement.