This City Needs A Hero
Murkage Dave
Alors que ces dernières décennies ont placé le rap au centre de la lumière qui relie la musique à la littérature, l’émergence d’un « smart R&B » capable d’enfiler une certaine cape poétique se fait apercevoir. Derrière des gros morceaux que sont Frank Ocean ou Kevin Abstract, un nouveau protagoniste fait parler de lui depuis le labyrinthe social d’East London. Murkage Dave, découvert il y a quelques années avec un Murkage Dave Changed My Life, et jeune prêtre d’un mariage aussi sombre qu’idyllique entre le Rnb et la pop, passe la seconde avec This City Needs A Hero, un regard troublant et à contre-courant sur un environnement comme jamais pris au prisme de sa contemporanéité.
L’Angleterre de Murkage Dave est plus que jamais l’héritière du Paris des poètes du 19e siècle. Sombre, décevante, Londres est une capitale abandonnée par la lumière et dont on vous invite à fuir. « Please don’t move to London it’s a trap » est l’hymne d’une désillusion dont tous les arrangements existentiels nécessaires pour vivre dans la capitale anglaise sont l’illustration. Mais Londres est également le lieu des frictions socio-politiques dont This City Needs A Hero se fait le journal : on trouve à ce compte le superbe « Every Statue Must Come Down », témoin d’une discussion essentielle de notre époque sur les personnalités, ou encore « Sadness Is On His Way », passage nécessaire d’un constat de société à un constat sentimental. Le monde actuel effrite sensiblement nos relations amicales, et abîme sérieusement la construction individuelle.
Car en bon romantique anglais, Murkage Dave est un poète urbain, sillonnant les méandres d’une époque destructrice pour les luttes politiques comme pour les amours. Et comme chez Verlaine, dont le coeur est l’âme-sœur d’une ville souillée par la laideur, This City Needs A Hero travaille au corps l’amertume de son compositeur. Dans le featuring avec Caroline Polachek par exemple : « Awful Things » rejoue le flux de conscience qui relie la pensée honteuse à la culpabilité qu’elle laisse dans notre esprit. C’est là que tout le talent d’écriture de Murkave Dave apparaît, dans la façon dont ce minutieux tricotage émotionnel s’intègre parfaitement à une vue d’ensemble historique. De l’infiniment grand à l’infiniment petit, sa musique traverse une existence doucement délabrée.
Mais ne vous détrompez pas sur le titre : si cette ville a besoin d’un héros, ce ne sera pas lui. Poète annonciateur, il se dynamise en (presque) rappeur sur le titre éponyme, mais conclut dans une certaine joie la venue souhaitable d’un héros – souhaitable, mais pas nécessaire. Après ces lignes, on s’en étonnerait presque, mais This City Needs A Hero démontre la capacité de Murkage Dave à produire une musique aux accents d’espoir. Sur « The World Is Changing Some Don’t Like It », c’est tout l’héritage de la Britpop, présente sur tout le disque, qui vient marier la tristesse et l’espoir dans le riff du refrain.
Alors on ne peut que donner à Murkage Dave son propre conseil, « do not read the comments » donné au début du gospelisant « World I Want To Live In », et de continuer à pousser une formule non seulement originale, mais surtout particulièrement réussie. Ce deuxième album est si conscient de ses ambitions et de sa capacité à les réaliser, qu’on n’arrive pas à se dire autre chose que ce qu’il doit se dire en sortant son album sans aucun label : ça va marcher, ça doit marcher.