Thelonious Sphere Monk
MAST
Thelonious Monk est assurément un des plus grands musiciens que le jazz ait porté: grand par sa technique, grand par son autodidaxie, grand par l'élan qu'il a su insuffler dans toute la musique des années 1960 en y important une énergie et une originalité exceptionnelles. Et c'est il y a 100 ans cette année que naissait celui dont Laurent de Wilde dit très justement que sa nature est de « faire bande à part », et qui pourtant impose le respect quand on mentionne son nom. Pour MAST, artiste basé à Los Angeles, ce respect devait être renouvelé dans un album portant le nom complet de celui à qui il rend hommage, Thelonious Sphere Monk.
Pondre un album-hommage, c'est toujours risqué ; mais pondre un album-hommage à un jazzman aussi unique que Monk, c'est plus risqué qu'une ballade avec le maillot du PSG sur la Canebière. Mais la vraie bonne idée de Thelonious Sphere Monk, c'est de ne pas en avoir fait un véritable album de jazz afin de consacrer l'excentricité de son sujet, de ne pas enfermer dans un genre celui qui a passé sa carrière à le déconstruire.
MAST a su distiller à travers la musique électronique l'essence de « Melodious Monk », et notamment son rapport à la percussion. Monk était un danseur: il devait bouger sur son piano, taper des pieds, on raconte même qu'il se levait en plein concert et arrêtait de jouer pour danser sur scène. La danse, voilà quelque chose qui lie bien le jazz et la musique électronique, cette volonté de replacer dans les mouvements ce qu'on a longtemps cru être l'apanage des fixités de l'esprit. Dans cette perspective, l'enchaînement de deux compositions essentielles de Monk, « Well You Needn't » et « Epistrophy », est particulièrement frappant. Par les rythmiques abstract dans le premier morceau et le drop jungle dans le second, les mélodies de Monk reprennent vie.
Attention toutefois, le travail de MAST n'est pas une vulgaire tentative de remix des pièces de Monk. L'accentuation rythmique qui pointe parfois n'étouffe pas pour autant la subtilité et l'étrangeté du travail du jazzman ; au contraire, elles sont mises en évidence. Les sons que les machines analogiques sont capables de produire donnent une excellente matière au travail de la dissonance. Des petits bruits blancs ou mouvements d'oscillateurs parsèment l'album et viennent rompre les évidences sonores, comme au début du simple mais très beau « Blue Monk » ou encore avec plus d'évidence sur « Oska T », parfaite synthèse de ce que MAST a produit. L'ensemble rend alors parfaitement l'atmosphère que Thelonious Monk instillait dans ses compositions, cette musique où s'accouplent le mystère et l'énergie, provoquant une douce transe.
Thelonious Sphere Monk est un album unique, dans lequel le travail des textures électroniques n'a jamais aussi fidèlement rendu l'importance du jazz dans la transformation des structures rythmiques et mélodiques. La clef de cette réussite ? MAST est un passionné de jazz: il en joue, il en écoute, et il n'est pas besoin de lire ses entretiens pour s'en rendre compte. La présence, par exemple, d'une superbe version de « Ask Me Now » pour piano seul au milieu de l'album, en est l'exemple parfait: une musique faite par un amoureux de la musique dans son ensemble, capable de comprendre ce que l'électronique doit au jazz, mais capable également de visualiser ce que la musique électronique peut apporter à notre écoute du jazz en y décelant des caractéristiques jusqu'alors cachées.