The Soft Moon
The Soft Moon
Ecouter The Soft Moon, c'est se retrouver en 1980. Une véritable machine à remonter le temps, du revivalisme tellement étudié en bonne intelligence et viscéralement parfait qu'au jeu du blind-test, beaucoup auront du mal à accepter que cette musique n'est pas britannique et vieille de trente ans mais vient de sortir sur l'un des labels les plus hype du moment, Captured Tracks, pensée qui plus est par un Américain d'origine latino, Luis Vasquez. 1980, son esthétique blafarde, sa sinistrose, l'avènement du libéralisme sauvage et la permanence de la menace nucléaire. 1980, le désir d'un avenir meilleur, aussi. En finir avec le punk, en finir avec la pop, dompter les machines, conquérir de nouvelles frontières. L'art dans la nuit, dans l'ennui mais la tête, finalement, bien dans les étoiles. Une musique sombre et glauque mais sous son austérité cosmétique, une musique également visionnaire, énergique, enthousiaste, vectrice d'idées neuves et d'invitations à se dépasser, surtout intellectuellement.
Joy Division, Chris & Cosey, Durutti Column, Stockholm Monsters, Section 25... C'est de ce côté-là que Vasquez cherche ses modèles. Pique ses idées. Au contraire des White Lies, Interpol et autres phénomènes de cirque, ce n'est jamais pour les pervertir, trafiquer ces influences toujours abruptes et extrêmes pour que naisse matière à chansons pop et autres hymnes de stades. Vasquez aborde la new-wave de 1980 avec dévotion, respect, compréhension des canevas et des enjeux, un vrai moine copiste. Résultat des courses : certains verront dans son disque une oeuvre parfaitement inutile, une copie en soi formidablement manufacturée du post-punk des années Thatcher mais n'apportant strictement rien de neuf par rapport à des sonorités et une esthétique dont le tour avait été bouclé dès le deuxième trimestre 1981. Bref, on décrètera que c'est un plaisir nerd. Un plaisir de vieux nerd, même.
Soit. The Soft Moon, il y a effectivement de cela, c'est carrément indiscutable. Ca mais aussi cette impression tenace qu'avec The Horrors et A Place To Bury Strangers, Vasquez et ses amis sont aujourd'hui parmi les rares pilleurs de sépultures qui parviennent à sortir des disques certes sans la moindre originalité mais où tension, classe, patate et finition font que ces albums sont finalement totalement dignes de leurs modèles. Parce qu'aujourd'hui comme hier en marge des esthétiques dominantes. Parce qu'en 2011 comme en 1980, présentant une réelle alternative au mainstream et plus spécialement aujourd'hui, une vraie proposition d'exigence artistique à une époque où seules l'accessibilité et l'insouciance culturelles sont vantées. Dans le secteur du revivalisme new-wave, on connaît énormément de séducteurs putes, de rejetons dégénérés, de chapardeurs malhabiles. C'est pourquoi The Soft Moon fait tant plaisir. Qu'une poignée de dignes héritiers se rajoute du bon côté de la balance. Qu'un groupe récent se réclamant d'une mode esthétique passée s'incrive dans l'histoire de cet art sans passer pour une caricature grossière. Que The Soft Moon soit un groupe foutrement bon, tout simplement.