The Seldom Seen Kid Live At Abbey Road

Elbow & The BBC Concert Orchestra

Polydor (UK) – 2009
par Splinter, le 20 avril 2009
10

Il n'est sans doute pas inutile de revenir sur le temps qu'aura mis The Seldom Seen Kid, le dernier album en date d'Elbow, pour traverser la Manche, afin de stigmatiser une situation incompréhensible et injustifiable : sorti en avril 2008 de l'autre côté du Channel, ce n'est que ces jours-ci qu'un éditeur aura enfin la bonne idée de distribuer officiellement dans nos vertes contrées ce monument du rock britannique qui a tout remporté sur son passage l'an dernier (Mercury Prize en tête) et qui aura permis aux Mancuniens emmenés par Guy Garvey d'obtenir enfin une reconnaissance critique et publique éminemment méritée. A l'heure du marché communautaire, voire de la mondialisation, d'Internet et de la communication instantanée, ce laps de temps extrêmement long pour publier l'une des œuvres majeures de ces cinq dernières années révèle un certain manque de clairvoyance de la part des décideurs. En tout cas, à Goûte Mes Disques, voici un an que l'on chante les louanges de la galette.

Mais alors que cet album rejoint enfin les bacs de nos disquaires, les Anglais peuvent, eux, découvrir, simultanément, une autre version de ce chef-d'œuvre, qui pourrait bien, au bout du compte, en devenir la version définitive et officielle. Preuve de la qualité étourdissante de ce disque, Elbow s'est en effet vu offrir la possibilité de l'enregistrer en live dans les mythiques studios d'Abbey Road, accompagné de l'orchestre de cordes et de chœurs de la radio britannique publique BBC. Projet totalement original, The Seldom Seen Kid Live At Abbey Road a été capté dans les conditions du direct, avec un public assez discret, Garvey et sa petite bande enchaînant les titres dans l'ordre original des morceaux, sans remercier les auditeurs à tout bout de champ, en prenant même le soin d'éviter tout bruit parasite, contrairement à ce qui aurait pu se passer pour une captation de concert classique et ses traditionnels raccords de guitare, tests de batterie, cris ou micros qui tombent.

De fait, ce live ne ressemble à aucun autre : son but consiste exclusivement à donner une dimension nouvelle à un album si majestueux et gracieux qu'il pouvait paraître légèrement étriqué dans sa version studio. Le résultat, époustouflant, se situe bien au-delà des attentes. Chacun des titres de cet album voit sa force émotionnelle décuplée, démultipliée, grâce à l'ajout de cordes et de chœurs, à tel point que le disque d'origine apparaît aujourd'hui comme une simple « démo », situation totalement ubuesque au vu de ses incomparables qualités ! Mais le constat est évident : habités par les fantômes qui peuplent les studios d'Abbey Road, Garvey, et ses hommes, plus classieux que jamais, se lancent corps et âme dans une interprétation bouleversante de maîtrise, de professionnalisme et d'émotion à fleur de peau. Des titres comme « Mirrorball », « Grounds for Divorce », « The Loneliness of a Tower Crane Driver » ou « One Day Like This », déjà magiques en version studio, atteignent ici la grâce absolue, orgasmique et jouissive, à en provoquer la chair de poule chez tout auditeur normalement constitué, en s'épanouissant manifestement dans une démesure orchestrale absolument délectable, sans jamais, bien entendu, perdre cette touche de délicatesse et de subtilité propre à Elbow.

Car si chacun a en tête les immenses qualités du groupe, il en est une qu'il partage avec bien peu d'autres artistes du rock anglais : la finesse. Comme Radiohead, source fréquente de comparaison, Elbow est une formation dont la musique est certes complexe et sophistiquée mais, étonnamment, ne sombre jamais dans l'esbroufe ni l'immodestie, à rebours de ce que l'on imagine Muse produire avec un orchestre à sa botte par exemple. Procédant toujours par petites touches et constamment sur le fil du rasoir, les Anglais prouvent ici avec une efficacité et un brio hors du commun qu'ils sont devenus les champions d'un rock à la fois décomplexé et profondément humble, extrêmement imaginatif, qui trouve à s'exprimer au meilleur de ses possibilités dans les grands espaces, au point que l'on se prend  cette fois à rêver d'une interprétation de l'album non plus dans le cadre étroit d'un studio, avec tout le respect que l'on doit à Abbey Road, mais dans une église, voire une cathédrale, par exemple, seuls lieux véritablement compatibles avec l'extraordinaire talent d'un groupe désormais incontournable.

Au final, l'un des grands intérêts de cette captation live indispensable, proposée dans un joli coffret comprenant à la fois une version audio (CD) et vidéo (DVD) du concert, outre sa puissance émotionnelle unique, est qu'elle démontre à quel point The Seldom Seen Kid n'est pas, au sens propre du terme, un album de studio, qui serait gonflé d'effets impossibles à retranscrire sur scène. Bien au contraire, il s'agit d'un opus absolument honnête à tous les stades de son exécution, les interprétations en direct de chacun des titres étant toutes étonnamment fidèles à celles que l'on connaissait alors et que, malheureusement pour elles, l'on n'écoutera plus, tant ce Live At Abbey Road surclasse l'album studio et prend sa place dans notre cœur, The Seldom Seen Kid ayant enfin atteint la dimension qui aurait dû être la sienne dès l'origine. C'est dire à quel point les rares critiques qu'a pu recevoir ce disque (notamment des inénarrables Inrocks, décidément peu crédibles) sont parfaitement déplacées. Avec ce disque, les gars d'Elbow démontrent qu'ils sont  bien un incroyable "seldom seen band".

Le goût des autres :
9 Jeff 9 Popop