The Red Room
Venus
Les artistes ne sont pas égaux devant le succès. Alors que certains courent après comme des damnés, prêts à tous les sacrifices pour se réchauffer au soleil d’une fugace célébrité, d’autres le côtoient mais le fuient comme la peste, pratiquant tous les exorcismes et suicides musicaux possibles. Peur de perdre son intégrité et son inspiration sans doute. Peur aussi de se voir ranger dans un petit tiroir bien pratique par les maisons de disque. Peur surtout de voir sa carrière résumée à un seul titre. Marc Huyghens, leader de Venus, est de ceux qui pensent qu’on ne se méfie jamais assez du succès et des mécanismes commerciaux qui se mettent inévitablement en branle dès que le Malin pointe le bout de son nez. Ainsi, deux fois par le passé déjà, la formation belge a flirté avec les radios, le temps d’un "She’s So Disco" confidentiel puis d’un tube quasi-certifié, "Beautiful Days". La réaction du chanteur ne s’est pas fait attendre : morceaux réinterprétés en concert, ralentis, privés de leurs ficelles 'pop' trop évidentes et, au final, reniés du bout des lèvres.
Aussi, la décision d’EMI de se séparer du groupe fin 2004 n’a pas dû traumatiser Marc Huyghens outre mesure. C’est donc libre de toute obligation commerciale que Venus s’est enfermé en studio pour enregistrer The Red Room, un troisième album sobre et sans concessions, entièrement composé à la guitare électrique. Dans cette chambre rouge, les Belges ont visiblement concentré beaucoup de solitude, un peu d’aliénation et quelques rancœurs. Cloîtrés et coupés du monde, ils sont allés chercher la rédemption dans un blues abrupte, à des lieues de la légèreté pop des premiers singles ou du folk propret de Vertigone. Peu de risques alors de voir se profiler un troisième succès radiophonique malgré un joli premier single, "Love And Loss", et un "Who The Fuck Gave You This Invitation ?" entêtant mais sans doute trop menaçant pour l’auditeur lambda.
A l’image de sa pochette bâtarde, The Red Room est fait de trompe-l’œil, de morceaux qui ne se révèlent qu’à moitié à la première écoute, avec un côté monotone et opaque qui pourrait en dérouter plus d’un. Pourtant, pour peu que l’on persévère, on s’aperçoit vite que le groupe s’est surpassé, réinventé même, en durcissant son ton. Surtout, le disque monte en puissance sur la seconde moitié pour finir en apothéose sur les trois meilleurs morceaux composés par le groupe à ce jour : "I Spoke Too Soon" et son superbe crescendo de voix et de claviers ; "Poison" tout de guitares et de violons ; et enfin la conclusion faussement bucolique de "Unknown". C’est arrivé là que l’on mesure le chemin parcouru par Marc Huyghens depuis Welcome To The Modern Dance Hall : celui que l’on prenait pour un gentil outsider pop s’est révélé au fil des années être un grand songwriter, capable de se remettre en question autant de fois que nécessaire pour parvenir à ses fins. The Red Room est l’aboutissement de ce chemin de croix musical et commercial, une conclusion logique autant qu’un nouveau départ. Et surtout un putain de grand disque.