The Purple Bird

Bonnie "Prince" Billy

Drag City – 2025
par Jeff, le 6 février 2025
8

La « midlife crisis », c’est essentiellement prendre conscience de sa propre mortalité, et affronter ce constat en faisant rigoureusement n'importe quoi. Si les causes peuvent être nombreuses, il en va de même pour les manifestations dans la vie réelle de ce moment compliqué à gérer. Sauf que ses représentations dans la culture populaire nous ont amenés à penser qu’il ne touchait que les hommes blancs de la classe moyenne ou supérieure, et que ce mal-être se traduisait invariablement par l’achat d’un véhicule de sport à la puissance inversement proportionnelle à l’élégance. Est-ce que Will Oldham est en plein dedans ? Disons qu’on ne l’a pas encore vu au volant d’une Porsche Cayenne vert fluo. Par contre, le voir utiliser son alias Bonnie « Prince » Billy et se rendre à Nashville pour y enregistrer un album de pure ‘country music’ alors qu’on l’a toujours connu à la pointe d’un mouvement qui cherchait à en présenter une version alternative a de quoi surprendre. Ce disque, c’est sa Cayenne a lui. Elle n’est pas verte, elle est mauve.

Pour profiter pleinement de ce nouvel album du prolifique Américain, il est indispensable de faire abstraction d’un certain nombre d’idées préconçues au sujet d’un genre dont on ignore à peu près tout des codes. Et comme Bonnie « Prince » Billy lui-même, il est important de faire confiance à des musiciens chevronnés et à un producteur (David ‘Ferg’ Ferguson, qu’il a rencontré à l’époque où Johnny Cash enregistrait une reprise de son classique « I See A Darkness ») pour qui la country de Nashville n’a plus le moindre secret : du travail sur les harmonies vocales au bon dosage des instruments par ce faux rythme qui infuse nombre des titres, à peu près tout dans cet album soustrait Bonnie « Prince » Billy a sa condition de monstre sacré de l’indie américain.

Ce savoir-faire en studio conjugué à une écriture ciselée et des textes qui adoptent un storytelling propre à la country donnent des titres touchants comme « Boise, Idaho » ou « Tonight With The Dogs I’m Sleeping ». Des morceaux qui sentent bon les blessures de cœur qui se soignent au Jim Beam dans un bar miteux de la Bible Belt et tellement convaincants qu’on finirait par se croire capables de placer le Kentucky ou le Montana sur une carte des États-Unis. Parce que oui, dans tous les clichés, il y a évidemment une part de vérité, et Bonnie « Prince » Billy parvient à s’en saisir sans sombrer dans la caricature malaisante. À de rares moments, il semble bien revenir sur des terrains plus familiers pour lui (sur « Guns Are For Cowards » notamment), mais ces titres ressemblent davantage à des interludes qu’à des éléments structurants de la proposition artistique.

Si la forme est essentielle parce que c’est elle qui détermine une bonne partie de nos choix de consommation, il restera toujours le fond pour trancher. Et absolument tous les titres de The Purple Bird ne servent qu’un seul objectif : nous rappeler que Will Oldham est bien l’un des plus grands songwriters du rock contemporain, et qu’ils sont rares à pouvoir boxer dans sa catégorie – il n’est pas étonnant qu’une fois le disque terminé, l’algorithme d’Apple Music ait décidé de lancer un titre de Bill Callahan. Soyons clairs, ce n’est pas avec The Purple Bird que vous allez soudainement vous mettre à écouter Toby Keith et vendre ce que vous avez de plus précieux pour un pèlerinage en territoire MAGA. Par contre, comme avec les disques de Margo Price ou Sturgill Simpson, cette parenthèse dans la carrière de Bonnie « Prince » Billy a le mérite d’initier les Européens ignares que nous sommes à tout un pan de la culture américaine que l'on se doit de comprendre pour appréhender un pays dont le soft power n'est pas que le fait d'artistes progressistes et bien-pensants installés à LA, Austin ou New York.