The Price of Tea in China
Boldy James
Que l’on parle des Neptunes, de Timbaland ou de DJ Premier, tous les plus grands producteurs de ces 20 dernières années se sont appuyés sur un son que l’on peut aisément identifier. Quant à ceux dont les gimmicks sont moins facilement détectables, ils ont contourné cet écueil en se dotant d’un dj tag qui annonce directement la couleur – le fameux « Metro Boomin want some more, nigga » pour n'en citer qu'un. Et puis il n’est pas rare non plus de tomber sur des producteurs ayant recours à ces deux artifices simultanément, comme Mike WiLL Made-It ou DJ Mustard.
Et puis il y a ceux dont le travail est absolument indispensable, mais qui ne font pas le moindre effort pour travailler cette visibilité. Et tout en haut de cette liste de producteurs qui ont opté, sciemment ou non, pour ce rôle d’éminence grise, on trouve The Alchemist. Depuis 2004 et son album 1st Infantry, le producteur de Beverly Hills n’a eu cesse de mettre les mains dans le cambouis pour que ses protégés se produisent à leur meilleur niveau – et pour vous la faire courte, cela recouvre un gros paquet de noms importants de ces 20 dernières années, de 50 Cent à ScHoolboy Q en passant par Nas. La spécificité de The Alchemist réside dans sa capacité à comprendre ses collaborateurs et à adapter ses schémas pour qu’ils collent au plus près de leurs forces, là où beaucoup d’autres ne font pas cet effort. C’est aussi pourquoi des carrières peuvent prendre un virage très intéressant sous sa férule, et Boldy James en est un bel exemple.
Originaire de Détroit actif depuis une petite dizaine d’années, Boldy James a un charisme et une technique indéniables, mais on sait tous que dans une industrie aussi concurrentielle que le hip hop US, cela ne suffit pas pour frayer avec ses têtes de gondole. Son précédent projet est l’incarnation parfaite de ce constat : avec ses bangers vicelards pour ateliers cuisine en trap house (beaucoup d’amour et de replay value pour « Now You Know »), House of Blues ne pouvait pas s’appuyer sur la valeur refuge du rap us, le tube. Car contrairement à ce que l’on peut penser, et si l’on met de côté les hits accidentels que l’on croise bon an mal an dans les charts, accoucher d’un tube relève d’une science qui fait appel à de nombreux contributeurs, et implique un nombre incalculable de contraintes, tant sur le fond que sur la forme.
Avec The Alchemist, Boldy James semble s’être résigné à être le nouveau rappeur à la mode, et sombrer au moins le temps d’un album du côté obscur de la force, se détournant de la quête au turn up pour privilégier les ambiances, un domaine dans lequel excelle son acolyte. En d’autres termes, si vous êtes venus pour vous enjailler sur des sons de bandits, passez votre chemin : The Price of Tea in China est un disque qui ne rue jamais dans les brancards, et préfère laisser à l’auditeur un goût de reviens-y plutôt que de chatouiller bêtement ses zones les plus érogènes. Du coup, on ne va pas se mentir : ce disque se mérite. Pas parce qu’il est difficile d’accès, bien au contraire. Plutôt parce qu’il met quelques écoutes pour gagner notre confiance, comme ça a pu être le cas avec les derniers projets de Earl Sweatshirt, MIKE et toute cette clique de rappeurs qui tournent le dos aux hooks clinquants pour donner dans les logorrhées à l’hypnotique monotonie.
Il faut se replonger dans la première collaboration entre les deux hommes (c’était en 2013 sur l’album My 1st Chemistry Set) pour réaliser combien cette nouvelle association tombe à point nommé : outre une expérience indéniable, The Alchemist et Boldy James semblent s’être rencontrés à une époque où le rap voit gagner en importance une nouvelle génération de MCs et de producteurs, dont le travail oscille entre revivalisme malin et volonté évidente de s’opposer aux techniques dominantes dans le emceeing contemporain (skrrr skrrr). Et on ne peut que se réjouir que des artistes comme Vince Staples, étincelant sur un « Surf & Turf » qui l’est au moins tout autant, valident à leur façon cette démarche qui fait souffler un vent de moiteur sur un hip hop mainstream tellement occupé à compter ses dollars qu’il a oublié de penser à innover.