The New Abnormal
The Strokes
Les Strokes ont aujourd’hui 20 ans de carrière derrière eux. À cet âge charnière, ils jouent à quitte ou double. Déjà considérée comme l’un des groupes les plus importants de la première décennie de notre siècle, la formation a beaucoup plus à perdre qu’à gagner en sortant ce nouvel album. Le premier réel danger qui la guette, c'est celui de souffrir du syndrome Pixies : finir par ressembler à un pauvre "cover band" sans panache qui tire sur les mêmes ficelles usées jusqu'à la corde. Le retour tant attendu ressemble alors à une excuse pour aller remplir les caisses (et la piscine de la résidence secondaire) en tournée.
Les auditeurs doivent également se méfier : les fans de la première heure comme les plus jeunes, aspirés par l’aura d’une des toutes fraîches légendes du rock à guitares, peuvent d’abord avoir l'impression que les Américains ont retrouvé le feu sacré. C’est le piège tendu par le titre d’ouverture, « The Adults Are Talking » un excellent morceau augurant d’un retour aux sources assumé et maîtrisé. Comment ne pas se réjouir d'entendre à nouveau la basse rebondissante de Nikolai Fraiture, le jeu incisif d’Albert Hammond Jr., et la nonchalance entêtante de Julian Casablancas ? C’est une piqûre de rappel de la vigueur d’Is This It et de Room On Fire. Merci à Rick Rubin d’avoir magnifié ici le palmarès du cinq majeur.
Mais quand on y réfléchit bien, de vrai tube faisant l'unanimité, les Strokes n'en ont plus eu depuis des années. Si « Under Cover of Darkness » est un prétendant au titre, c’est bien « You Only Live Once » sur First Impressions of Earth qui colle le mieux à ce terme. C’était en 2006. Et après quelques écoutes, sur ce disque, de vrai tube "à la Last Nite", il n'y en a pas. Il suffirait d'une écoute pour les trouver ceux-là d'ailleurs - parce qu'on se rappelle tous de la première fois qu'on a entendu « Last Nite ». « Bad Decisions », c’est bien torché, c’est une chanson qui aurait eu sa place sur Is This It. Mais s’en souviendra-t-on comme d’un incontournable de 2020 ? Déchaînera-t-elle les foules pendant un DJ set joué en 2030 ?
Cantonner les Strokes à une machine à tubes est cependant réducteur. À quarante balais, à quoi bon sprinter ? On serait en droit d’imaginer qu’ils cherchent aujourd’hui à dépasser l’immédiateté du hit en se concentrant sur l’alliance des ambiances, les textures, la complexité des structures. Se la jouer Radiohead, pour le dire vite. Mais dans ce nouvel album pensé comme une énième preuve d’amour à New-York (la pochette est une reproduction de "Bird on Money", une œuvre de Basquiat, artiste pur blason new-yorkais et « Ode to the Mets » et « Brooklyn Bridge to Chorus » font figure d’évidence), les Américains n’ont pas su choisir.
Une chose est sûre : comme les plus grands orateurs, les Strokes ont compris qu'il fallait soigner leur entrée et leur sortie. « The Adults Are Talking » dont on a déjà parlé pour la première et « Ode to the Mets », leur nouveau classique de rappel en puissance, pour la dernière. Mais à l’intérieur du sandwich bien toasté, les ingrédients sont balancés n’importe comment.
Englué dans une nostalgie des années 1980 déjà criarde sur Angles et Comedown Machine, le groupe peine à se défaire des habitudes prises depuis ces deux albums. « Selfless » et « Not The Same Anymore » sont quasiment insipides. La très poussive « Eternal Summer » plombe un peu plus ce disque. Heureusement que l’on peut compter sur At the Door (premier single ultra pertinent) et « Why Are Sunday’s So Depressing » où Fabrizio Moretti charbonne et Casablancas se laisse parfois aller au maniérisme, pour épicer le tout. Mais on ne sait toujours pas quoi faire des miettes de dialogues de studio parsemées ça et là sur l’outro de quelques titres.
The New Abnormal n’est certes pas le Indie Cindy des Strokes, mais ce disque rate quelque peu le coche. The New Abnormal, c'est un t-shirt I Love NY que l’on a trop aimé porter. Déformé par de nombreuses lessives, le rouge du cœur est resté intact, mais le lettrage avait déjà fané depuis longtemps.