The Mysterious Production Of Eggs
Andrew Bird
Qu’est-ce qui sépare l’artiste lambda du vrai génie ? Qu’est-ce qui fait que là où le plus grand nombre préfère s’enfoncer dans une formule toute faite et sans saveur, une poignée n’hésite pas à se remettre sans cesse en cause, quitte à se saborder ou à s’égarer en chemin ? Bref, quelle est cette étrange force qui semble pousser Andrew Bird album après album ? Après avoir abandonné la musique de cabaret des années 30, puis la pop de The Swimming Hour, après avoir fait exploser en vol son groupe Bowl Of Fire pour embrasser une carrière solo avec le superbe Weather Systems, un concentré de folk et de country où le violoniste retrouvait son goût du classicisme, voilà notre drôle d’oiseau déjà posé sur une autre branche. Toujours un peu plus haut.
Dans le ciel bleu et grisonnant du volatile américain, The Mysterious Production Of Eggs, avec son titre teinté de mysticisme et sa pochette décalée, ouvre une nouvelle page dans la carrière d’Andrew Bird. Car là où ses précédents disques, même les plus réussis, semblaient parfois hésitants, ce nouvel opus affiche une insolence et une assurance qu’on croyait jusqu’alors réservées aux cabotins-maîtres du genre, Rufus Wainwright en tête. En l’espace de 12 titres et 2 intermèdes musicaux, le prodige de Chicago étale non seulement ses talents (déjà reconnus) de musicien hors pair mais fait surtout preuve d’un songwriting époustouflant. N’hésitant pas à prendre l’auditeur à rebrousse-poil dès qu’il le peut avec ses constructions alambiquées, bousculant tous les codes du folk, bricolant une chanson avec trois morceaux différents, transformant un simple sifflement en art, Andrew Bird semble tout simplement avoir atteint l’état de grâce.
L’histoire l’a prouvé à maintes reprises, un vrai génie ne peut être que dérangé. Chez Bird, c’est dans ses textes qu’il faut aller trouver cette sorte de psychose mystique, ce double surréaliste de l’artiste qui n’hésite pas à jongler avec la richesse de la langue de Shakespeare pour mettre en scène le mouvement perpétuel d’un quotidien amorphe un instant, en profonde crise la seconde qui suit. Même ses chansons suivent ce schéma au fil des ans : on retrouve ainsi sur The Mysterious Production Of Eggs d’anciens morceaux trafiqués et rafistolés ("Skin Is, My" par exemple est une excroissance du "Skin" de Weather Systems), comme si dans la tête de leur compositeur, chaque titre continuait à vivre dans un recoin et souffrait d’avoir été un jour cadenassé sur disque.
Le statique semble être le pire ennemi qu’Andrew Bird s’est inventé, à l’instar des moulins pour ce Don Quichotte qu’il cite dans "Sovay". Difficile de savoir où le mèneront ses doutes, ses envies, ses hésitations et ses ambitions. Aujourd’hui, la seule certitude qui s’impose écoute après écoute est que l’on a affaire à un oiseau rare. Et que l’on n’a aucune envie de le voir en cage, même si pour cela il faut se préparer à le voir s’envoler un jour vers d’autres cieux.