The Lords Of The Rings : The Rings Of Power (OST)
Bear McCreary
Lorsque le premier volet de la trilogie originelle de Peter Jackson sort en 2001, Bear McCreary doit être comme un dingue. Il a la vingtaine, et en bon geek-métalleux-accordéoniste qu’il est, une adaptation aussi expansive et gros budget que celle de la New Line doit faire frémir en lui toutes les particules de l’adolescent lecteur de Tolkien qu’il était. Mais au-delà du dosage parfait de la nature néo-zélandaise et la force de frappe de Weta Workshop sur les effets spéciaux, la musique de Howard Shore tient une place absolument essentielle dans ce maintien de la pure fantaisie du livre à l’écran. L’intensité obscure de l’ouverture du film ne fonctionne d’ailleurs qu’en se reposant sur la mythique introduction « Prologue : One Ring To Rule Them All ».
En 2020, Bear McCreary a la quarantaine bien tassée et compte désormais un petit paquet de succès à son actif. Il a récemment gagné tout un tas de prix pour la composition de la bande originale du reboot du jeu God Of War, et peut se targuer d’être à la baguette sonore sur au moins deux grosses séries de ces dernières années : Outlander et surtout The Walking Dead. En somme, il a le profil parfait pour être le nouveau compositeur de la série la plus chère de l’histoire de la télévision, The Lords Of The Rings : The Rings Of Power.
Une révolution pour la franchise ? Pas du tout, et c’est McCreary lui-même qui le dit. « La musique de Howard Shore pour The Lords Of The Rings a eu une influence sur la moindre note de musique que j’ai écrite depuis que j’ai 21 ans, c’est indéniable. Je me suis vraiment fondu dans cette influence et je souhaite créer une véritable continuité pour les fans comme moi. Je n’ai aucune intention de révolutionner tout cela ou de créer une surprise désagréable. » C’est le genre d’aveu d’humilité qui doit faire plaisir à une grosse boîte comme Amazon Studios (on rappelle que New Line est quand même toujours dans le projet), surtout que McCreary est tout à fait capable d’innover, on pense notamment au très cool thème qu’il avait écrit pour la série Black Sails en 2014, ou le travail plus en subtilité qu’il fait en ce moment pour la petite pépite qu’est See.
De fait, la bande originale de The Rings Of Power est plutôt académique. Un thème par secteur narratif, donc un pour Galadriel et ses aventures, un pour Khazad-dûm (la Moria), un pour les Hobbits, un pour les aventures d’Arondir (pas le nom qui sonne le mieux en français, on est d’accord), etc. Pas de surprise non plus dans les arrangements : les Hobbits ont droit à une musique à base de flûtes et tambourins, pour leurs pieds tout poilus et leurs fucking branches dans les cheveux (alerte gros style), les elfes et les nains se répondent entre les chœurs aigus, trompettes et violons d’un côté, les chœurs graves et les contrebasses de l’autre ; bref : chaque environnement a une musique qui complète le visuel et l’historique plus qu’elle ne l’interroge. Mais faire simple, ça n’est jamais simple, surtout pour un univers aussi attendu que celui de Tolkien. Le thème de Galadriel est poignant, celui des nains est ultra efficace, et des passages plus narratifs comme « White Leaves » démontrent à quel point McCreary connaît son boulot en termes d’entremêlement et reprises de thèmes.
Mais évidemment, il ne faut pas s’attendre à retrouver l’ambiance de la première trilogie de Peter Jackson. La série d’Amazon Studios est en réalité un projet beaucoup plus ambitieux que les films. Pas artistiquement, mais narrativement. Là où Howard Shore devait nous aider à suivre l’effrayant pèlerinage de Frodon et Sam, Bear McCreary doit donner un corps sonore à une ère tout entière. Cinq saisons sont déjà programmées et, comme on passe d’un personnage et d’une région à l’autre, la musique est un outil inévitable pour que le montage soit lisible. La lenteur et l’aspect contemplatif du début du Seigneur des Anneaux ne sont tout simplement pas adaptés au format feuilleton. Ça n’est d’ailleurs pas forcément un problème, mais ça explique bien des différences entre la partition de McCreary et celle de Shore. Cette différence est aussi présente sur la bande originale, puisque ce dernier est quand même derrière le pupitre pour un thème principal qui illustre parfaitement à quel point Howard Shore est un compositeur de musiques de film, tandis que Bear McCreary s’est fondu dans le moule sériel.
À l’écran, ça donne quoi ? Bien que moins puissantes que leurs prédécesseuses, les orchestrations de The Rings Of Power fonctionnent de manière assez impressionnante une fois posées sur les images. La fin de l’épisode 1 (je ne vous spoile rien) est juste envoûtante, et fait clairement passer un cap à un compositeur qui prend du galon. Pour une production qui ne pouvait pas se planter étant donné les frais engagés, c’était l’homme de la situation, sans aucun doute.