The Hood
TH da Freak
Quiconque a un sommeil plus léger que l’encéphale de Cyril Hanouna sait qu’il est condamné à la double peine lorsque ces insomnies s’inscrivent dans la durée. La première consiste en une forme d’incompréhension par tes connards de potes capables d’enchainer les heures de sommeil plus aisément que les shots en soirée et qui n’hésitent pas à prodiguer des conseils allant de la séance intensive de branlette au cocktail anabolisant dont la recette ferait pâlir de jalousie Keith Richards. La deuxième, plus insidieuse, n’apparait qu’un peu plus tard: la liquéfaction de ton organisme. Devenu un amas de matière ectoplasmique malgré l’application de tous les remèdes proposés, errant dans la vie quotidienne tel un musulman dans une charcuterie, entre en jeu le dernier acteur de ta déchéance: la caféine.
Pataugeant sans cesse entre tachycardie et léthargie, tu es une sombre merde incohérente et spectatrice de sa minable existence, tentant en vain d’écoper la barque avant un naufrage inévitable. Heureusement, on revient généralement d’entre les morts, voyage dont ne persiste dans ton cerveau encore atrophié qu’un souvenir plus ou moins vague. Du mien pourtant, persiste The Hood, deuxième album du bordelais TH da Freak, qui fut mon Virgile durant ce putain de calvaire.
Car The Hood réussit parfaitement à encapsuler le subtil paradoxe qui constitue tout le drame de cette triste condition faite à la fois d’une terrible fatigue physiologique, et d’une pulsation cardiaque caféinée plus frénétique qu’une immondice psy-trans à 140 BPM. TH da Freak livre un album d’un enthousiasme sans cesse jugulé par une flemme olympique, conjuguant simultanément vigueur et nonchalance, dynamisme et paresse, spleen et lymphatisme. L’allégorie d’une certaine notion du cool donc, celle d’un loser déchu et magnifique, un peu à la ramasse, trainant des pieds dans le panthéon de ses idoles des nineties. En fait, The Hood, c’est Pavement se voyant offrir une petite pipe par Mac De Marco.
Tout le procédé de l’album réside en effet dans la réhabilitation de l’esthétique nineties par le prisme d’un esprit slacker revendiqué et très actuel, recette sur laquelle se basent alors les dix titres de ce second long format fait maison. Un pari réussi bien qu’un peu risqué, puisqu’à l’heure où les nineties semblent détenir le monopole du cool selon nombre d’enculés notoires en tracktop Umbro, on ne peut qu’encenser TH da Freak pour sa démarche qui mise sur la sincérité plutôt que l’attitude, et qui se voit ici matérialisée par un album touchant par sa dualité: toujours juste tant il semble à côté de la plaque, toujours énergisant tant il semble parfois prôner l’ataraxie, toujours mémorable tant il semble voué à l’éphémère.
En réalité, il est difficile de parvenir à désosser The Hood tant son écoute fut une expérience subjective et contextuelle, presque cathartique. De ce fait, tous les auditeurs ne se fendront certainement pas de telles éloges vu son apparente mollesse, sans comprendre que d’elle-même découle sa substantifique moelle. Une matière médullaire faite d’un sens mélodique toujours juste, d’une énergie réprimée par une production flegmatique, et d’un certain je-m-en-foutisme assez bandant. Bref, un album pertinent de bout en bout, meilleur ami de l’insomniaque pathologique pour lequel il constitue même sans doute l’une des meilleures matérialisations de son état aux yeux du commun des mortels.