The Helm of Sorrow
Emma Ruth Rundle & Thou
Nombre de publications font état de la récente polygamie musicale qui a touché le rap français (s/o Heuss et Vald) mais le phénomène n'est pas nouveau, loin de là. La musique extrême s'en est fait une spécialité, Jarboe collaborant dès 2003 avec Neurosis, alors qu'en 2016, les titans du post-metal Cult of Luna s'associaient avec la chanteuse américaine Julie Christmas (Made Out of Babies, Battle of Mice) pour un album, Mariner, à classer parmi les meilleurs du groupe. Cette tendance continuait en fin d'année dernière, le groupe Thou faisant appel à la chanteuse (dark) folk Emma Ruth Rundle pour agrémenter leur suintant mélange de sludge metal et de doom. Il en résulta un album, May Our Chambers Be Full, sorti en octobre dernier, et l'EP qui nous intéresse aujourd'hui, soit The Helm of Sorrow, qui témoignent tous deux de la rencontre entre deux univers différents mais complémentaires.
Sur le papier, on pourrait avancer que les deux propositions artistiques semblent différentes. Mais la folk teintée de shoegaze de Rundle se marie parfaitement au sludge dégueulasse de Thou, sans que l'une des deux entités ne doive sacrifier son identité propre. Au contraire, cela permet à chaque partie d'aller titiller des recoins inexplorés de sa musicalité. La collaboration permet ainsi à Rundle de plonger plus profondément dans des sonorités lourdes, processus qu'elle avait entamé en 2018 avec On Dark Horses. De son côté, Thou continue de voyager vers des territoires (un peu) plus accessibles. Ici, l'approche grunge déjà observée cette année sur deux compilations s'entrechoque avec leur traditionnelle ossature lourde, mais le tout gagne en vulnérabilité grâce au chant de Rundle, comme sur "Recurrence" qui joue sur la dualité des voix de Rundle et de Bryan Funck, hurleur-en-chef de Thou.
Pourtant, on peut se demander en quoi The Helm of Sorrow, enregistré durant les mêmes sessions que May Our Chambers Be Full, se différencie de l'œuvre qui l'a précédé. Le résultat est formel : on ne s'étonne pas que ces morceaux n'aient pas été intégrés à l'album. L'esthétique est toujours présente, mais là où le bât blesse, c'est dans le manque de moments faisant appel aux deux voix de façon simultanée. Ce qui rendait l'album excitant, c'était justement la façon dont les vocaux se ralliaient dans des explosions sludge assez jouissives. Le meilleur exemple de ce problème demeure le morceau d'ouverture, où les deux entités affichent leurs qualités sans parvenir à les fusionner. On va aussi regretter le fait que la meilleure piste, "Hollywood", est une reprise des Cranberries, justement parce qu'elle embrasse pleinement les deux sonorités. C'est dans ce genre de précieux instants que la collaboration entre Emma Ruth Rundle et Thou, violente mais introspective, prend tout son sens. Dommage, au final, que cet EP ne représente pas grand chose de plus qu'une suite à May Our Chambers Be Full, qui lui est à mettre entre toutes les mains.