The Far Field
Future Islands
Soyons francs: nous n’avons pas vraiment eu le temps de perdre Future Islands de vue depuis le succès foudroyant (et largement mérité) de Singles il y a trois ans. En effet, en plus de la tournée marathon qui a suivi la sortie du disque sur 4AD, chaque membre s’est lancé dans des projets parallèles histoire d'occuper un peu le terrain : le chanteur Samuel T. Herring a viré hip hop sous le pseudo d’Hemlock Ernst, le bassiste William Cashion a lâché le second album de son duo instrumental Peals et le claviériste Gerrit Welmers a poursuivi ses expérimentations électro en solo sous le pseudo de Moss Of Aura. Ces expériences ont non seulement contribué à mettre en lumière la scène indie de Baltimore, mais ont aussi nourri le travail de création de ce cinquième album où l’influence de la littérature est bien prégnante dans les textes de Herring, qui laissent régulièrement entrevoir doutes et pertes de repères comme sur "Through the Roses", sommet émotionnel de l'album.
Mais au-delà des paroles, ce qui frappe avant toute chose c’est la production impeccable. En même temps, c'est assez logique quand on sait que les Américains ont été guidés dans leurs travaux par John Congleton , qui est loin d'être un manche ou un débutant: on parle d'un producteur à qui des gens comme St. Vincent, Swans ou Spoon ont fait appel par le passé; le genre de producteur qui n'a peut-être pas une patte reconnaissable dans la seconde, mais dont la capacité à comprendre un groupe et sa manière de fonctionner est impressionnante. C'est ainsi lui qui les a fait enregistrer pour la première fois basse et batterie ensemble et travailler sur des bandes et non par ordinateur. Et le résultat s'entend directement: le groupe s'appuie sur des textures plus chaudes et plus soul que sur leurs précédents disques. Moins marqués 80's que sur Singles, les morceaux restent clairement infusés d'éléments de cette période, parfaitement distillés au cœur d’un groove qui emporte l’auditeur tout au long de douze titres tous aussi beaux et immédiats que le single "Ran", dont la simplicité n’a d’égale que l’efficacité.
Quant à la voix de Herring toute en rugosités, elle est plus que jamais au centre du jeu, caresse de papier de verre qui colle des frissons aussi bien à ta petite sœur qu’à son prof de gym. Après le passage chez Letterman qui a foutu Internet à leur pieds puis cette interminable tournée pour promouvoir Singles (les mecs ont tellement joué qu'ils ont même accepté de venir dans l’émission de Michel Fuckin' Drucker à la demande du fanboy Christophe), le trio livre un disque plus que jamais taillé sur mesure pour le live, dont l’énergie promet des concerts d’anthologie, peut-être encore plus qu’avec le précédent disque alors que la formule reste fondamentalement la même. Et tant qu'on y est, on s'en voudrait de vous laisser sans en placer une petite pour « mamie » Debbie Harry, seule invitée sur l’album et dont le timbre fait des merveilles sur "Shadows" - bien plus que sur le poussif disque du comeback de Blondie, d'ailleurs. Du coup, on préfère largement poncer ce Far Field qui est à ce jour l’aboutissement de la carrière d’un groupe qui n’a semble-t-il pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin.