The Drive
Pixel
Avec sa formation de saxophoniste en poche, Jon Ekeskov était sans doute destiné à croupir dans une vieille salle de classe de son conservatoire de Copenhague, donnant des cours à d’autres qui s’éteindraient comme lui dans les couloirs d’une institution musicale antique et rétrograde. Du moins, rien ne pouvait laisser présager que notre Danois finirait par arriver sur une structure aussi prestigieuse que peut l’être Raster Noton. Rien, sinon peut-être l’amour du son et des multiples recoins où celui-ci développe ses potentialités. Et pour son troisième essai, Pixel nous propose un voyage imaginaire à travers les Etats-Unis, un road movie en sept titres comme autant de coordonnées géographiques retraçant les péripéties de son auteur.
Armé de sa guitare et d’une poignée d’amplificateurs, Pixel travaille en profondeur les cordes pour finalement obtenir des nappes floues et granuleuses, base organique première sur laquelle l’électronique viendra déposer ses incertitudes par la suite. Une toile de fond mystérieuse et abyssale, qui surgit de l’intérieur d’elle-même tout en donnant l’apparence de s’extraire d’un clavier vintage décrépit et usé. Mais Pixel est également un maître au moment d’introduire les premières composantes rythmiques qui scelleront le sort de ce voyage itinérant. Là où Ezekiel Honig (dont les nappes ambient de Surfaces of A Broken Marching Band ressemble en tous points à celle de Pixel) s’adonnait sur son génial dernier album à une mise en abîme sur fond de micro-techno, Pixel travaille le beat dans un registre sensiblement plus electronica. Des constructions squelettiques à la précision pourtant chirurgicale qui se voient relevées par de douces infrabasses tout aussi minimalistes, l’ensemble formant un amas de groove signalétique de haut niveau, démultipliant l’espace de jeu de l’auditeur avec une incroyable facilité.
C’est très certainement cette opposition des styles qui rend The Drive si attachant. D’une part, la sensibilité et la profondeur des guitares proposent un terrain de jeu aussi vaste qu’introspectif, d’autre part, les architectures rythmiques quasi mathématiques viennent délimiter ces kilomètres de plaine avec un sens de l’orientation inné. Cette association a ceci d’excitant qu’elle se présente comme associant des composantes aux contenus opposés, presque antinomiques : l’écoute de The Drive revient à observer le caractère flou et étendu d’une aquarelle sur laquelle viendrait se poser la précision toute scientifique du dessin industriel. Un voyage au cœur des grands espaces qui se veut comme une bouffée d’air pur, comme une expérience aussi libératrice que vivifiante. En somme, une réussite de plus pour le label allemand, qui mériterait de figurer au rang des meilleurs efforts de cette année en cours.