The Dream
alt-J
C’était il y a 10 ans. "Breezeblocks" et "Tessellate" déferlent sur les radios et les amateurs et amatrices de d'indie rock découvrent en festival 3 geeks qui défendent leur premier album, An Awesome Wave, avec sérieux et précision. alt-J se révèle, enflamme le cœur du public, en agace déjà certain·es, et l’on pense tenir une future machine de guerre. Sauf que deux ans plus tard sort déjà This Is All Yours et l’on comprend très vite que le trio n’a aucune intention de répliquer ce qui avait le succès du premier album. Si l’on garde bien un single locomotive, on s’avance déjà bien plus dans l’expérimentation et l’imprévisibilité. En 2017, RELAXER confirme la direction prise par le groupe et laisse d’ailleurs par sa rugosité une partie du public sur la touche.
5 ans plus tard, la bande de Leeds revient avec The Dream, un quatrième album teasé via 3 singles ("U&ME", "Hard Drive Gold", "Get Better") qui ne nous ont pas franchement enthousiasmé·es, tant ils semblaient écrits en pilote automatique. Heureusement, la crainte d’un manque d’audace est dissipée dès la plage d’ouverture qui enchaîne extrait de pub, intro aux allures médiévales et chanson enivrante sur le Coca-Cola. alt-J est bien de retour et, durant 12 titres, va nous esquisser un monde cotonneux, pervers, presqu’irréel dans lequel (certain·es d’entre) nous sommes plongé·es depuis mars 2020. Si la première partie l’album est assez attendue (puisque composée des singles), c’est véritablement à partir du diptyque "Chicago"–"Philadelphie" que la force de The Dream se déploie. On retrouve évidemment les changements de tempo chers au groupe mais les voix, les mélodies, les arrangements ont encore gagné en acuité. Le groupe délaisse les envolées qui pouvaient parfois égarer pour resserrer chaque titre autour d’un noyau qui nous embarque dans une expérience feutrée et hypnotique. C’est particulièrement criant sur le très soul "Walk a Mile" qui s’impose comme la pièce maîtresse du disque, et sur l’enchaînement "Losing My Mind" et "Powders" qui nous aliène avant de nous faire émerger de ces 50 minutes de rêverie.
Dans une industrie où trop d’artistes sombrent dans la facilité après un ou deux premiers albums talentueux (on a tous beaucoup d’exemples en tête, ne tirons pas sur des ambulances, fussent-elles en capacité de remplir des stades), on ne peut que chérir des groupes comme alt-J qui, avec beaucoup d’humilité, d’honnêteté et d'application construisent une œuvre éminemment personnelle et donc aussi touchante que jouissive.