The Crane Wife
The Decemberists
Avec The Crane Wife, les Decemberists n'en sont pas à leur coup d'essai, loin de là. Le groupe emmené par Colin Meloy (et dont le nom vient d'une tentative de coup d'état durement réprimée qu'avaient organisé les décembristes le 14 décembre 1825 pour obtenir du futur tsar Nicolas I une constitution) existe depuis 2002 et a enregistré pour le compte des petites structures Hush et Kill Rock Stars pas moins de trois excellents albums - dont l'indispensable Picaresque sorti en 2005. Toutefois, pour de nombreux Européens, le groupe fait figure de nouveau venu sur la scène musicale. Il faut dire que depuis qu'il a signé sur la major Capitol, le groupe jouit d'un réseau de distribution et de promotion élargi – et à la hauteur des aptitudes démontrées sur ses précédents efforts.
Évidemment, on connaît le genre de réactions épidermiques que déclenche chez les puristes de l'indie ce genre de décisions et pour de nombreuses personnes suivant le groupe depuis ses débuts, ce quatrième album est particulièrement redouté. Toutefois, Colin Meloy a assuré que le but premier de ce transfert juteux était de pouvoir bénéficier de moyens d'enregistrement et de production à la hauteur de ses attentes et on ne peut qu'abonder dans son sens à l'écoute de The Crane Wife. Les arrangements sur ce nouvel album restent dans la lignée des précédents efforts, précieux et raffinés, et il semble indéniable qu'en déliant les cordons de la bourse, Capitol a permis au groupe de travailler et réenregistrer ceux-ci à l'envi – notamment sous l'oeil attentif de leur ami Chris Walla de Death Cab For Cutie.
Mais une fois encore, ce n'est pas dans les arrangements, certes très réussis, qu'il faut aller chercher la véritable valeur ajoutée qui fait de The Decemberists un groupe à part et de The Crane Wife une nouvelle réussite, mais plutôt dans le livret qui accompagne ce dernier. C'est là que l'on peut se délecter des superbes paroles de Colin Meloy. Particulièrement influencé par la littérature, il y fait une nouvelle fois montre d'un talent d'écriture unique qui imprègne fortement les compositions du groupe. Après s'être inspiré du roman picaresque espagnol, Colin Meloy lorgne cette fois-ci du côté du Japon (une partie de The Crane Wife est inspirée d'un conte japonais) et de la Grande-Bretagne (une autre partie doit beaucoup à La Tempête de Shakespeare). Les histoires, Colin Meloy les aime romancées, gorgées d'émotions en tous genres et vecteurs de sensations fortes. Ce mélange de folk, de pop et de poésie trouve son écho le plus puissant dans les deux morceaux épiques de The Crane Wife: affichant respectivement 12 et 11 minutes au compteur, « The Island - Come and See - The Landlord’s Daughter - You’ll Not Feel The Drowning » et « The Crane Wife 1 And 2 » sont d'indispensables joyaux qui démontrent tout la maturité d'un groupe conscient de ses limites et ne reculant devant aucun sacrifice pour rendre son univers aussi accessible que possible.
Un peu trop policé et pas assez décomplexé pour venir titiller Picaresque, The Crane Wife n'est clairement pas le meilleur album du groupe de Portland. Il n'en reste pas moins qu'en raison de sa densité théâtrale prenante, de la personnalité forte de son chanteur et de sa déconcertante facilité à briller sur tous les types de formats, cette nouvelle livraison des Decemberists risque fort de squatter votre platine dans les semaines et mois à venir.