The Cradle to the Rave
Shit Robot
Il faut l'avoir vu mixer, le lascar. Enchaîner acid-house, balléaric et disco drogué de main de maître mais en choississant régulièrement les versions les plus limites des classiques, les versions vocales, chantées de traviolle par des castafiores sous ecsta, blindées de piano joué à deux doigts et d'envolées de synthés que même Giorgio Moroder trouverait too much. Il faut l'avoir vu jongler avec l'innommable pour comprendre que Shit Robot, c'est idéalement et fondamentalement un concept. Un revival house nation, back to the roots, le milieu des eighties, sur la corde raide entre bon et mauvais goût, minimalisme et overdose d'overdubs, efficacité dancefloor et pop déviante.
Ca, ce n'est pas forcément ce qu'annonçaient les maxis sortis depuis 4 ans : "Wrong Galaxy", "Chasm" et "Simple Things", tous réellement monstrueux, calibrés, dosés, maîtrisés, parfaits, de vrais modèles de dévastation. Ces trois pures tueries nous ont fait fantasmer un Shit Robot au canon braqué sur les pistes, le rack d'effets vicieux à portée de mains, un vrai Jedi en ce qui concerne les breaks qui font hurler et les montées qui retournent les têtes. La promesse d'un album de Shit Robot affola d'autant plus que le label DFA sortit quelques communiqués de presse promettant l'entrée dans la légende de celui-ci ainsi que l'aide conséquente en studio de James Murphy et Juan McLean, en plus de divers vocalistes, parmi lesquels Nancy Whang de LCD Soundsystem et Alex Taylor de Hot Chip.
A la réception de l'album, c'est justement le côté pop du disque qui déçoit, dans un premier temps. Trop varié, trop chanté, pas assez de bombes. On s'attendait à un arsenal purement fonctionnel pour faire la fête et on se retrouve avec une oeuvrette hybride qui n'est finalement pas sans rappeler les premiers Chemical Brothers, eux aussi repérés grâce à des maxis dévastateurs pour se retrouver ensuite bien délavés au moment de faire long, tentés par la pop pataude, noyés sous les featurings pas toujours finauds. Idéalement, Shit Robot aurait du balancer au monde un vrai truc de taré de la night, acide et mental, digne de ces long-playings aujourd'hui disparus de DJ Pierre ou Virgo. Finalement, on a de la guitare, beaucoup de vocaux, deux morceaux à la LCD Soundsystem ("Tuff Enuff" et "Triumph!") et même, avec "Take em Up", la possibilité d'un hommage à Eight Wonder, le groupe de Patsy Kensit jadis produit par les Pet Shop Boys.
Passé la déception et l'évaporation des fantasmes meurtriers, force est toutefois de constater que l'album est en fait, à niveau strictement conceptuel, une vraie réussite. Parce qu'il s'agit exactement de ce que les sets de Shit Robot annonçaient : un revival house nation, back to the roots, sur la corde raide entre bon et mauvais goût, minimalisme et overdose d'overdubs, efficacité dancefloor et pop déviante. Cela n'en rend pas les chansons meilleures, cela n'en fait pas moins regretter la force brute des maxis. Après la bérézina du dernier Chk Chk Chk et un LCD Soundsystem pas terrible non plus, cela fait même un peu sentir le sapin à la scène new-yorkaise. Mais...
Mais cela fait apprécier ce disque comme se savourent les bons épisodes de la série Mad Men. Il ne s'y passe rien de primordial, rien d'inédit. Le plus fascinant n'est pas ce qu'ils racontent mais la perfection d'intégration et de maîtrise des codes d'une époque révolue. A la téloche pour les uns et sur disque pour celui-ci, ce sont les détails et le décor qui finissent par charmer jusque dans les pires moments d'égarement, les impasses sans nul autre intérêt que d'être de très bonnes reconstitutions des ruelles glauques d'il y a 25 ans.