The Columbia Years 1968-1969
Betty Davis
Spécialiste toujours inspiré en comebacks plus ou moins improbables (Donnie & Joe Emerson, Lee Hazlewood, Lewis ou son plus beau coup Sixto "Sugar Man" Rodriguez), le bien nommé label Light In The Attic nous refait le coup et ressuscite cette fois Betty Davis qui, depuis 1975 et son dernier coup de griffe discographique Nasty Gal, avait totalement disparu des écrans radar (mais heureusement pas de la surface de la Terre). Toutefois, à la grande différence de la plupart des protégés du label de Seattle, Betty Davis avait quant à elle déjà eu le temps de marquer son époque.
En effet, en une décennie, elle enregistre d’abord quelques 45t et participe à divers projets avant de graver trois albums cultes entre 1973 et 1975, Betty Davis, They say I’m Different et donc Nasty Gal. On y entend un funk électrique et viril, alors même que Betty Davis (également mannequin à ses heures perdues) éblouissait de féminité, de beauté et de sensualité. Mais sa musique, elle, est résolument musclée et ce qui frappe par dessus tout c’est cette voix, cette façon de rugir qui transpire le sexe, la rage et la provocation.
Betty Davis incarnait alors une femme sûre d’elle, fière de sa couleur de peau, visionnaire, féministe à ses dépens et à l’éthique DIY totalement assumée. Ses trois albums, elle les écrira, composera et arrangera elle-même, se permettant le luxe d’éconduire le géant Motown qui l’aurait obligée à quelques compromissions.
Difficile également de ne pas évoquer ce nom qui lui colle à la peau, Davis, comme Miles que Miss Mabry (son nom de jeune fille) épouse en 1968. Les mauvaises langues pourraient imaginer un mariage d’intérêt pour la belle mais c’est bien le trompettiste qui bénéficiera le plus de cette courte union. Betty aura en effet sur lui une immense influence tant sur son look désormais bien plus bling bling que sur sa musique. Elle lui fera ainsi découvrir le rock psychédélique, le funk et lui présentera Jimi Hendrix. En clair, Betty préfigurera le tournant jazz-rock et électrique de Miles qui n’aurait sans doute jamais accouché de Bitches Brew sans cette charmante influence.
Et c’est justement de Miles Davis dont il s’agit dans notre actualité du jour. Light In The Attic sort en effet une compilation de sessions inédites qu’on n’osait même pas imaginer en rêve entre le trompettiste et sa jeune épouse. Alors, autant tempérer tout de suite, Miles ne joue malheureusement pas une seule note sur ces Columbia Years 1968-1969 mais supervise et produit ces sessions avec son acolyte Teo Macero (producteur, entre autres, de ses albums In a Silent Way, Bitches Brew et On the Corner).
Fruits de deux séances enregistrées les 14 et 20 mai 1969, les six premiers titres nous offrent un jazz-rock funky avec des basses bien rondes et des guitares qu’on qualifiera d’« Hendrixiennes ». Cool, groovy parfois psychédélique, cette fabuleuse musique est transcendée par la voix de Betty Davis pas encore totalement mûre et qui se fait plus chatte que tigresse pour le plus grand plaisir de l’ouïe ("Hangin’ Out", "Down Home Girl").
L’autre atout majeur de ces bandes inédites est la présence au casting d’Herbie Hancock, John McLaughlin et Wayne Shorter (tous les trois sidemen réguliers de Miles) ainsi que des musiciens rock Mitch Mitchell (batteur pour le Jimi Hendrix Experience) et Billy Cox (bassiste du Band Of Gypsys). Un programme rock (notons aussi la présence de deux titres signés Cream et Creedence Clearwater Revival), jazz et funk donc pour un résultat qui annonce déjà la fameuse trilogie évoquée plus haut.
Les trois excellents titres qui viennent clore l’album affichent une couleur résolument soul comme aux meilleures heures de Stax et de la Motown. Enregistrés sous la direction de Jerry Fuller en octobre 1968 avec le trompettiste Hugh Masekelaet et les membres des Crusaders Wayne Henderson et Joe Sample, il s’agit en fait d’un inédit et des deux faces d’un 45t gravé à l’époque par Columbia. Sur le morceau "My Soul is Tired", on peut deviner un début de mue vers ce chant si particulier qui sera celui de Betty Davis quelques années plus tard.
Light In The Attic nous gâte donc une fois de plus avec ces Columbia Years en y mettant de surcroît les formes avec un luxueux livret offrant des documents rares exhumés des archives de Teo Macero, des photos et des interviews avec Betty Davis herself ou Hugh Masekela. Pour ceux qui veulent aller plus loin, il se prépare pour l’année prochaine un docu sur la carrière de Betty Davis et sa mystérieuse retraite, qui s’annonce très excitant.