The Breaks

SUUNS

Joyful Noise Recordings – 2024
par Émile, le 11 septembre 2024
8

Depuis 2010 et leur explosion avec Zeroes QC, SUUNS a connu une trajectoire atypique. Peut-être un peu las du modèle electro-rock qui trouvait son apogée dans Hold/Still en 2016, le groupe a lentement mais nettement transformé son horizon musical et sonore, mettant en place d’autres façons de faire, d’autres inspirations. Ben Shemie a passé le cap d’un vocoder libéré de toute harmonie et obligeant régulièrement ces petites dissonances si marquantes des derniers albums, la batterie s’est électronisée, modifiée, et largement tue, quand la guitare a retrouvé sa place. Après un The Witness très mature il y a trois ans, The Breaks apparaît alors comme l’occasion rêvée d’entériner ce virage no wave.

Peut-être que la première ligne de compréhension de The Breaks est liminale et focalisée sur la publicité du disque. C’est simple : d’album en album, SUUNS perd des auditeurs·rices. Là où le début des années 2010 rameutait des millions de personnes sur leurs morceaux, c’est très rare aujourd’hui qu’un titre recueille plusieurs centaines de milliers d’écoutes. Sans être radicalement déstructurée comme pourrait l’être une véritable dynamique no wave, la musique de SUUNS a intégré une idée qu’elle traite de manière aussi simple que paradoxale : la mise en perspective de l’harmonie. Il est rare qu’un titre ne joue pas avec la dissonance, et les premières notes de « Vanishing Point » annoncent une couleur déjà entendue dans The Witness et Felt. Le travail d’harmonisation, mené par Ben Shemie, Liam O’Neill et Joseph Yarmusch, est une minutieuse oscillation entre des accords attendus et d’autres, souvent majeurs, pas du tout. C’est ce qui fait tout le psychédélisme de leur musique, bien qu’ils se revendiquent encore de faire de la pop. Mais interrogé par Le Devoir, Liam O’Neill réfute même l’idée de changement musical du groupe depuis leurs débuts : « En fait, je n’ai jamais vraiment compris pourquoi on nous qualifiait de groupe expérimental. Et je ne pense même pas qu’on a changé tant que ça avec le temps, mais probablement qu’on a effectivement changé ; c’est comme avoir un enfant et ne pas remarquer tout de suite à quelle vitesse il grandit, tu vois ? »

Cet aspect pop, il est pourtant essentiel à ce nouveau disque. Les morceaux sont moins longs, plus accessibles, et témoignent d’un minimalisme dont les lignes de fuite nous emmènent dans les inspirations conscientes et inconscientes du groupe. Dans la douceur très carrée de « Fish on a String », on y entend le Velvet Underground, et dans le glam du single « Overture », du David Bowie.

Jamais figée, toujours en évolution, la musique de SUUNS a surtout gagné en narrativité. Chaque titre possède désormais une force d’écriture qui laisse supposer le temps conséquent qui a été requis pour construire un album pareil. Un travail d’orfèvrerie, sur des morceaux courts, dans un album court, mais à l’intérieur duquel les histoires sonores sont contées avec une extrême habileté. « Doreen » est une courte chanson de folk futuriste, mais elle semble durer éternellement – Ben Shemie dit d’ailleurs de ce titre qu’il est « comme une photo de la Lune ». Si les disques ont du mal à se laisser appréhender d’un seul coup d’œil, le trio a beaucoup travaillé à donner plus de cohérence à The Breaks, et on sent bien que les morceaux d’ouverture et de fermeture sont comme deux faces d’une même page.

Ce minimalisme grandissant, cette simplicité dans l’écriture (mais pas dans la composition de toute évidence), c’est comme une réduction de leur musique. En se distillant, SUUNS a montré une forme différente, changé de couleur, et si leur musique est un être vivant qui grandit, alors il est particulièrement en bonne santé.