The Boy with no Name
Travis
Voici dix ans déjà que les Ecossais de Travis occupent le devant de la scène pop grâce à leurs ritournelles douces-amères, bien avant Coldplay, Keane ou Starsailor, qu'ils ont chacun plus ou moins inspirés à des degrés divers. Après un premier album en forme de sympathique brouillon, Good Feeling, sorti en 1997 et clairement sous influence Oasis, la bande de Fran Healy a trouvé son quatrième mousquetaire en la personne du producteur Nigel Godrich, incontournable et inimitable accoucheur de talents (Radiohead, The Divine Comedy, Beck…). C'est en effet sous la houlette de ce dernier que le groupe a publié The Man Who, sorti en 1999, leur chef-d'œuvre à ce jour, qui témoigne d'une véritable sensibilité, avec des titres particulièrement délicats et touchants comme "Writing to Reach You", "The Last Laugh of the Laughter" ou encore le tubesque "Why Does It Always Rain on Me ?", devenu depuis lors l'hymne de tous les gentils losers.
En 2003, pris d'une irrésistible envie d'indépendance, Travis a décidé de se passer des services de son bienfaiteur et de sortir tout seul 12 Memories, album plus sombre, politiquement engagé ("The Beautiful Occupation"), qui restera sans doute le vilain petit canard de leur discographie, auquel il manquera toujours la "patte Godrich" pour vraiment convaincre malgré quelques titres plutôt réussis et typiques du groupe ("Re-Offender", "Mid-Life Krysis"). Résultat, les fans ont boudé le disque tandis que le grand public n'a pas suivi. La sortie d'une compilation de singles en 2005 sponsorisée en France par une radio molle-du-genou a semblé sonner le glas de ce groupe des plus attachants, particulièrement en concert.
Heureusement, Travis vit encore et, quatre ans après son dernier album, semble avoir compris la leçon en demandant à nouveau à Godrich de les aider à coproduire leur nouvel opus. The Boy With No Name, cinquième album au titre classique pour ce groupe qui veut s'effacer derrière la musique, sort enfin, porté par un single efficace, "Closer", parfaitement travissien tant dans le fond que dans la forme : mélancolique, délicat, voire lisse, le titre parvient à séduire assez facilement en rappelant quelques-uns des bons moments de The Man Who, dont ce nouvel album se veut le pendant direct sans s'en donner tout à fait les moyens.
En effet, sans grande surprise malgré, pour la première fois en dehors des B-Sides, quelques textes signés du guitariste qui tient la route Andie Dunlop et du bassiste qui fait mal Dougie Payne, The Boy With No Name ne parvient qu'à aligner une collection de jolies chansons parmi lesquelles il est bien difficile de trouver un successeur aux énormes machines que furent en leur temps "Sing" (sur The Invisible Band, sorti en 2001) ou "Turn" (sur The Man Who). Doux comme un bonbon au cassis, ce nouvel album de Travis ne convainc finalement qu'à moitié grâce à une poignée de titres sympathiques et délicats ("Three Times and You Lose", "Closer", Battleships", "Colder"), heureusement jamais ennuyeux, marqués par le featuring discret de KT Tunstall sur "Under the Moonlight".
Bénéficiant d'une aura sans doute émoussée avec les années, Travis devrait avoir un peu de mal à s'imposer à nouveau avec ce Garçon sans Nom, gentil mais inoffensif, sans prise de risque, quand la pop qui marche, depuis quelque temps, se veut beaucoup moins consensuelle et certainement plus incisive (Klaxons, Bloc Party, etc.). Au moins, le groupe n'a jamais pris la grosse tête, au contraire de Keane, qui s'est perdu en cours de route en versant dans le grandiloquent, ce qui n'est pas du tout le cas de cet album. Un disque honnête, en somme, sans grande saveur, comme ce groupe qu'il serait toutefois injuste de sabrer compte tenu des services rendus à la pop britannique depuis maintenant une décennie sans accrocs, mais dont on voit bien ce dont il aurait besoin pour qu'il nous ravisse à nouveau : de la profondeur et des aspérités, à l'image de ce qu'a pu produire un Tom McRae par le passé.