The Avalanche
Sufjan Stevens
Mais que cherche donc à prouver Sufjan Stevens en publiant autant de musique en aussi peu de temps ? Qu’à l’instar de certaines de ses idoles des années 60, de Dylan aux Beatles, il est capable de faire rimer prolificité avec qualité ? Son gargantuesque projet d’enregistrer un album pour chacun des 50 Etats américains n’est-il déjà pas assez ambitieux pour qu’il en rajoute une couche avec un disque de chutes de studio pour chacun ? Car après Seven Swans qui permit au songwriter de réutiliser une douzaine de compositions écartées de l’album Michigan, c’est au tour de The Avalanche de prolonger encore un peu plus le délire de génial patchwork musical de l’an passé, Come On ! Feel The Illinoise. Sauf que cette fois-ci, au lieu d’enrober le tout dans un nouvel écrin, la filiation est avouée et ces « outtakes and extras » ont un petit goût de déjà entendu tout en restant inédits.
De fait, si l’on ne peut qu’admirer le travail de forçat du bonhomme, il convient de se demander si la musique est la grande gagnante de cette opération autant égocentrique que marketing (tendance « surfons sur un succès critique et commercial »). On est en droit d’émettre quelques doutes. Avec plus de 70 minutes au compteur et une vingtaine de plages aux noms à rallonge, The Avalanche sombre plus que de raison dans l’auto-complaisance. A l’instar de son grand frère, le disque aurait très bien pu être amputé d’une bonne vingtaine de minutes sans pour autant léser quiconque. Et si Sufjan maîtrise bien son sujet, on commence à connaître la recette et les gimmicks évidents de son écriture et de ses arrangements (cuivres omniprésents, rythmique saccadée, voix légèrement en retrait) commencent franchement à lasser. Ce sentiment est renforcé par la présence de trois versions différentes de "Chicago" (acoustique, easy-listening et personnalités multiples) : chaque interprétation a un petit truc attachant mais aucune n’arrive à la cheville de l’original, véritable clé de voûte du cru 2005.
Certes, toutes ces considérations un rien pointilleuses ne doivent en aucun cas minimiser les nombreuses qualités de ce disque : même en roue libre, le petit génie aux grands pieds est capable de pondre une bonne dose de sacrées chansons, à commencer par celle qui donne son titre à l’album ou encore les superbes "Dear Mr.Supercomputer" et "Adlai Stevenson". Mais c’est peut-être là le gros dilemme de l’auditeur sur la longueur de l’album : Sufjan Stevens finit par énerver autant qu’il fascine. Son talent est indéniable, son écriture est largement au-dessus de celle de la plupart de ses contemporains, mais à force de vouloir trop bien faire – ou plutôt à force de vouloir trop en faire – il use son capital sympathie et finirait presque par retourner contre lui le plus dévoué des fans. Bref, de la même manière que ses prestations scéniques laissent un sentiment ambigu, on sent que l’artiste pourrait un jour pas si lointain basculer du côté obscur de la force. Aujourd’hui l’admiration a encore le dessus, mais qu’en sera-t-il au cinquième, au dixième, au vingtième ou au cinquante-deuxième état ? A ce rythme-là, à part une aide-soignante et quelques grabataires durs de la feuille réunis dans une maison de retraite du fin fond de l’Illinois, plus grand-monde n’aura envie de connaître la fin de l’aventure…