The Atlantic Ocean

Richard Swift

Secretely Canadian – 2009
par Jeff, le 6 juillet 2009
7

Les amateurs de football me comprendront: il est des joueurs au talent certain, mais qu'une ambition démesurée ou une naïveté confondante pousse parfois à prendre des décisions pour le moins malheureuses. Quel aficionado de ballon rond n'a jamais déploré le départ d'un des joueurs de son équipe fétiche vers un championnat étranger où l'on sait pertinemment que le sportif en question risque fort de chauffer le banc pendant que les stars de la Premier League ou de la Bundesliga s'en donnent à cœur joie sur le gazon. Le tout pour revenir la queue entre les jambes (et le portefeuille il est vrai un peu plus lourd) un ou deux ans plus tard. Les Français vous citeront Bernard Diomède ou Philippe Christianval, les Belges Emile M'Penza ou Jonathan Blondel. Eh bien sachez, chers lecteurs, que ce phénomène ne se limite pas au seul monde du ballon rond. Prenez le cas de Richard Swift: le songwriter américain ne manque pas de qualités à faire valoir, mais depuis qu'il officie sur un label riche en locomotives - Secretely Canadian, son talent semble noyé par la déferlante d'éloges qui s'abattent sur Antony & the Johnsons ou Jens Lekman. Il faut dire que là où ses copains de classe produisent une musique aussi belle qu'originale, Richard Swift a plutôt tendance à déambuler sur des chemins bien balisés où le trafic est extrêmement dense.

Aussi, le constat est souvent le même lorsque l'on écoute pour la première fois un nouvel album de ce natif de Californie: c'est l'impression persistante d'avoir déjà entendu cela une bonne vingtaine de fois depuis le début de l'année qui prévaut, ce qui rend l'exercice critique à son égard encore plus difficile. En effet, comment enthousiasmer l'acheteur potentiel dans une chronique qui pourrait, comme la musique de Swift, ressembler à dix mille autres? Car depuis qu'il s'est fait connaître, l'artiste caché derrière une énorme tignasse noire convie invariablement les fantômes de John Lennon, Randy Newman ou Elliott Smith sur des compositions joliment ficelées, jamais renversantes mais jamais décevantes non plus. Et les onze titres de The Atlantic Ocean ne dérogent évidemment pas à cette règle. A une seule différence près cette fois: la production, en phase avec son temps, qui donnerait presque un caractère anachronique au disque – un sentiment confirmé par la présence sur "Ballad of Old What's His Name" de Mark Ronson, le metteur en son du "Rehab" d'Amy Winehouse ou du "Littlest Things" de Lily Allen. Et si l'influence de Ronson n'est pas trop évidente sur ce morceau, sur lequel on également été conviés Pat Sansone de WilcoRyan Adams et le "fils de" Sean Lennon, elle témoigne cependant d'une certaine prise de risques et d'une volonté indéniable d'évoluer dans le chef de Swift. Ainsi, en plus d'être sacrément bien écrites, les compositions de Swift se voient aujourd'hui enveloppées d'un vernis contemporain du plus bel effet, fait de claviers en tous genres, et qui permet à l'artiste de prendre un peu de hauteur par rapport à une masse de folkeux stagnant dans le ventre mou du classement, pour reprendre une analogie footballistique. Ainsi, n'oubliant jamais ses racines, notre homme s'embarque dans une aventure tantôt rondement menée ("The Atlantic Ocean" et sa rythmique enjouée qui évoque le "Mr. Blue Sky" d'ELO, "A Song For Milton Feher"), tantôt d'une fascinante introspection ("Already Gone" ou le magnifique "Lady Luck" pour clôturer le disque), quand il ne joue pas sur ces deux tableaux à la fois. D'un bout à l'autre du disque, l'équilibre entre passé et présent n'est jamais perturbé, et on se prend alors à fredonner avec insistance ces mélodies qui, de prime abord, paraissent plutôt banales.

Dans sa biographie sur le site de son label, par ailleurs pas vraiment à jour, on peut quand même y lire cette petite phrase qui en dit long sur les visées de Richard Swift: "I could probably have learned other trades, and maybe been happy or tricked myself into thinking I was happy, but I honestly believe my purpose in life is music." En effet, même si ce mec sera voué à jouer les seconds couteaux toute sa carrière, à se produire  dans de petites salles à moitié pleines en tête d'affiche ou dans de grandes salles à moitié vides en première partie d'artistes plus rentables, il y aura toujours chez lui cette envie de communiquer, non sans un certain talent, cette passion pour une musique belle et touchante. Et quand fond et forme, classique et contemporain, joie et tristesse se mélangent dans une évidente simplicité, on en vient à se demander si Richard Swift ne mériterait pas un peu plus d'égards de la part du public. En tout cas, à l'écoute de The Atlantic Ocean, on se dit que ce serait la moindre des choses.