That's What They All Say
Jack Harlow
Si vous avez écouté du rap en 2020, vous avez forcément écouté du Jack Harlow, de votre plein gré ou non. Statistiquement, il y a en effet de très grandes chances pour que les quelques notes de piano de « What’s Poppin » aient frôlé vos tympans à un moment donné durant ces douze derniers mois. Mais bien avant de devenir le phénomène mondial qu'il est aujourd'hui, Jack Harlow était apparu sur nos radars en 2017 avec le clip de l’excellent « Dark Knight ». Il nous avait tapé dans l'œil, non pas pour sa réalisation visuelle somme toute assez banale, mais plutôt pour le décalage irréel entre ses rimes explosives et son look de babtou fragile. Vous nous direz : encore un blanc-bec surcoté dont le film préféré est 8 Mile ? Certainement pas. Le talent du jeune homme est incontestable. Mais des ruelles sombres de Louisville aux collines de Hollywood, la route est longue et sinueuse ; et pourtant, quelques années plus tard, voici Jack Harlow sur le toit du monde.
Pour saisir la trajectoire de ce jeune rappeur, il faut se rappeler qu’en 2020 le hip-hop se consomme principalement au travers d’applications mobiles. Au-delà de Spotify ou d’Apple Music, l’impact que peut avoir une app comme TikTok ou Instagram sur un single est incommensurable, surtout s’il devient viral, comme ce fut le cas pour « What’s Poppin ». Tout à fait conscient des nouveaux codes qui régissent le rap contemporain, le rappeur de 22 ans a bien préparé son coup : avec ses punchlines pour la génération Instagram, ses couplets introspectifs et sa confiance débordante, Jack Harlow montre qu'il a bien potassé son Drake pour les nuls. Si vous n'êtes pas familier avec ce bestseller des temps modernes, sachez qu'il invite le lecteur à se construire une image de marque crédible (comme Jack, faites vous une place dans la liste de XXL Freshmen) et moderne (comme Jack, soyez aux manifs Black Lives Matter); à vendre du rêve à sa fan-base grandissante (comme Jack, devenez l’égérie d'une marque de pompes) ; et à placer son produit au bon moment, sur la bonne plateforme (comme Jack, ayez votre plus grand tube dans Call of Duty). Pour autant, le contenant ne fait pas le contenu, et That’s What They All Say, son premier album studio, relève plus du pétard mouillé que du feu d’artifice.
Le principal reproche que l’on pourrait faire à Jack Harlow est exactement la même critique adressée à Roddy Ricch l’an dernier : il ne cherche aucunement à repousser les limites de son rap. Drapé dans son plus beau survet', Jack Harlow regarde le rap américain défiler sous ses yeux, sélectionne ce qui l’intéresse et appuie sur CTRL-V - ce qui est franchement regrettable au vu de son immense potentiel. Alors évidemment que les beats sont frais, que les invités propulsent l’album dans une autre dimension et que des titres comme « Way Out » ou « Tyler Herro » feront exploser les algorithmes ; pour autant la colonne vertébrale du disque est fragile, et frôle même la scoliose puisque le curseur penche davantage vers la parodie que vers l’innovation. Sans aucun concept concret, That’s What They All Say est une autobiographie finalement peu ambitieuse, racontée de manière peu originale, et une parfaite photographie du rap tel qu'il se consomme aujourd'hui. Pour le meilleur et pour le pire.