That! Feels Good!
Jessie Ware
En 2017, Jessie Ware en avait presque fini avec la musique. Malgré un remarquable Devotion en 2012, sa pop raffinée faisait bien trop peu de vagues en regard de son immense talent. Si le disque suivant avait trouvé son public, Glasshouse avait reçu un accueil tiédasse, qui avait précédé une désastreuse tournée américaine. Devant la merditude des choses, Jessie Ware a alors décidé de reléguer la musique au second plan. Sage décision. Son retour en 2020 fut l'une des plus belles surprises de cette coronannée: What's Your Pleasure laissait de côté cette quête permanente du raffinement pour se laisser porter par une flamboyance disco irrésistible, démontrant qu'elle comprenait la disco, un genre qui canalise l'euphorie et la sensualité d'une nuit de fête tout en libérant cette allégresse dont les gens ont besoin quand les choses vont mal - et les choses allaient plutôt mal en 2020.
That! Feels Good! continue sur cette même lancée, mais en poussant le curseur plus encore vers la teuf ultime. L'album n'a même pas honte de répéter la formule établie par son prédécesseur : la Londonienne susurre "That feels good, do it again" en ouverture d'album, et, à partir de là, plus rien n'est pareil pour nos hanches et nos mollets. Le morceau éponyme brûle de son influence Funkadelic, tandis que les singles "Free Yourself" et "Pearls" montrent que Jessie Ware est pleinement consciente de sa capacité à chanter comme les divas d'autrefois. C'est d'autant plus surprenant qu'on associe habituellement le disco à des artistes flamboyants, des divas au caractère bien trempé, des personnalités qui se mettent au diapason d’une musique qui a l’interdiction absolue de passer inaperçue. Pas de ça avec Jessie Ware: elle vit une vie paisible et n'est pas connue pour ses frasques ou ses caprices délirants.
Épanouie dans sa discrétion et son approche tout en mesure, Jessie Ware se met ici au service du disco dans une approche consciente et respectueuse. Ainsi, "Beautiful People" possède une énergie digne des bacchanales du mythique Studio 54. Pareillement, "Freak Me Now" vise le même objectif hédoniste, mais cette fois, les lumières stroboscopiques perlent d'une sueur French House, prouvant une fois de plus que l'objectif de fournir des bangers ne se limite pas aux limites du paysage sonore précédemment connu de Ware.
Et pour notre plus grand bonheur, rien n'est putassier. Des titres comme "Begin Again" baignent dans une joie maximaliste, et la richesse des arrangements y contribue énormément, à l'instar des cuivres de Sheila Maurice-Grey (Kokoroko) qui évoquent la chaleur du latin jazz. Mais cette chaleur irrigue tout l'album, dont une moitié est produite par Stuart Price (dont on vous parlait récemment) et l'autre par James Ford (producteur, entre autres, de tous les albums des Arctic Monkeys, de Kylie Minogue, ou des derniers Depeche Mode). Ces deux chantres du "mainstream indie" ont déjà prouvé qu'ils savaient plaire aux foules, et leur travail méticuleux fait de That! Feels Good! un album dont les écoutes répétées ne font qu'enrichir une première impression déjà jouissive.
That! Feels Good! est, à des degrés divers, un victory lap. À l'ère des albums grand public interminables, ces quarante minutes où rien n'est à jeter et tout est à sa place font un bien fou. On tient le disque populaire dans tout ce qu'il incarne de plus noble, en ce sens qu'il respire la sophistication sans se prendre trop au sérieux. Ce disque est aussi une revanche, car six ans après avoir envisagé d'abandonner sa carrière, Jessie Ware retrouve le plus haut niveau, heureuse de se laisser aller, de danser et de s'amuser. Et nous avec.