Thank Your Lucky Stars
Beach House
Dans notre monde systématisé, complexe et impatient, Beach House était cet îlot solitaire de confort, notre petit cocon où on aimait retrouver patience et sécurité. Trois ans d’attente pour un Depression Cherry beau mais paradoxalement trop prévisible. Avec ce réchauffement climatique et la montée des eaux, l’îlot Beach House pourrait-il se retrouver un jour noyé dans l’océan, pour l’éternité ? Mais c'est un peu comme avec les conférences sur le climat: on est au courant des dangers mais on ne change rien. Comme dirait Philippe Verdier, le monsieur météo de France 2, « il y a du positif dans le réchauffement climatique, on pourra aller plus souvent à la plage ».
Et puis Beach House nous bouscula dans nos certitudes. À peine deux mois après la sortie de Depression Cherry, le groupe nous annonce un autre album, « not a companion to Depression Cherry or a surprise or b-sides ». Le sol se dérobe sous nos pieds telle une falaise sous le poids de l’érosion. Aux depressionosceptiques, une chance inouïe est ici offerte avec Thank Your Lucky Stars. La question de la comparaison et de la complémentarité entre les deux albums interviendra irrémédiablement, mais c'est surtout sur le niveau d’un album écrit et enregistré dans la foulée du précédent que l'on serait en droit de se poser des questions.
Très rapidement, les premiers doutes sont levés. Thank Your Lucky Stars est un disque à part entière, beaucoup plus varié et aventureux que le précédent, avec ses imperfections attachantes. Le duo veut nous bousculer, nous mener en bateau, nous frapper par secousses inégales. « Majorette » surprend en évoquant les Smashing Pumpkins. À l’enfantin « She’s So Lovely », « One Thing » nous répond par du shoegaze. Quant à « Elegy To The Void », il serait ce retour de flamme, ce backdraft que Kurt Russell ne saurait maitriser. Pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agit dans ce crescendo magnifique où se mêlent toutes les émotions qu’on aime chez Beach House : nous sommes bercés par la douceur d’un synthé, chahutés par la rugosité d’une guitare sous reverb, mais soutenus par la précision de la batterie qui nous promène de bout en bout dans ce qui est l’un des plus beaux morceaux du groupe. Sortis de cette zone de turbulences, c’est évidemment sur une ballade so 50's, « Somewhere Tonigh », langoureuse, sensuelle, à en faire pâlir de jalousie le « You Know What I Mean » de Cults, que se clôture notre croisière.
Finalement, quoi qu’il advienne de la prochaine COP21, avec ces deux albums qui se complètent et s’enrichissent, le duo Alex Scally / Victoria Legrand peut surveiller sans crainte le flot régulier et magnifique des vagues qui lui caresse les pieds. Et nous remercions notre bonne étoile pour cela.