Tentacles
Crystal Antlers
Avant même de l’avoir écoutée, la première livraison de Crystal Antlers revêt un caractère historique puisqu’elle marque la cessation des activités de Touch & Go, célèbre label de Chicago connu pour avoir hébergé de nombreux artistes indépendants, de Slint à Calexico en passant par Shellac et CocoRosie. Une page se tourne donc et nous rappelle combien la crise du disque est bien réelle. Et ce malgré le foisonnement incessant d’un secteur musical où les sorties sont toujours plus nombreuses. Un drôle de paradoxe qu’a engendré la bulle Internet, celle-là même qui a consacré le groupe californien.
Porté aux nues par toute la presse, et particulièrement par l’inévitable webzine Pitchfork, Crystal Antlers débarque donc avec son premier effort, le bien nommé Tentacles, qui fait suite à un EP ayant connu son petit succès. Très vite épuisé, ce dernier fut réédité, la machine s’est mise en branle et le nom du groupe commença à circuler dans la blogosphère. Et au vu des prestations scéniques de la formation, le buzz ne pouvait que prendre forme et enfler avant la sortie de l’album. Ce qui est aujourd’hui chose faite et conforme à l’attente, fut-elle énorme, placée en Crystal Antlers. Produit par leurs propres soins et de manière presque artisanale, Tentacles est un disque explosif et épileptique dont l’écoute ne laisse définitivement pas indemne. Un chant plus proche du hurlement, une batterie surexcitée, une guitare incisive, une basse en retrait, des percussions éparses et un clavier tout aussi virevoltant que salvateur, voilà la recette démoniaque concoctée par les Américains. Avec de tels aliments, on n’est guère surpris de voir le groupe osciller entre le psychédélisme du Pink Floyd de Syd Barrett et la bouillasse noise de The Mars Volta, dont l’un des membres, Ikey Morris, avait produit leur EP. Mais Crystal Antlers frappe également à la porte du math-rock tout comme à celle du grunge sur les 13 compositions de ce Tentacles. Adepte du format court – les morceaux dépassant rarement les 3 minutes - le sextet américain se forge donc un univers puissant que l’on pourrait comparer à une jam noise et tribale. Et à l’instar de Health, même si l’ensemble est plus squelettique chez ce dernier, Crystal Antlers est tout simplement une formation taillée pour la scène, où elle s’amuse à imbriquer des éléments de différents morceaux pour en créer de nouveaux. De sorte, la case enregistrement ne semble pas être une fin en soi mais plutôt un passage obligé pour un groupe dont les compositions sont en mutation permanente. Ceci dit, cet effort est une réussite totale et chaque écoute permet d’y découvrir de nouveaux détails sonores. Du magma en fusion, rien de moins.
Aussi réjouissant qu’il soit, le premier effort de Crystal Antlers est à mettre en perspective avec toutes les productions de la scène noise californienne (Health, Abe Vigoda, No Age, The Mae Shi…), dont la vitalité actuelle est tout bonnement étonnante. Et en osant la comparaison, on se rend compte qu’il ne faudra guère de temps pour que Crystal Antlers se pose en véritable chef de file. Car il est clair que ce Tentacles représente bien plus qu’une simple carte de visite. Un manifeste.