Tana Talk 4

Benny The Butcher

Griselda Records – 2022
par Jeff, le 29 mars 2022
7

Les années passent, les projets s’enchaînent, et pourtant trop de monde continue de n’envisager Griselda qu’à l’aune du seul Westside Gunn, de ses looks improbables, de son flow incroyable, de ses adlibs inimitables (enfin presque). Pourtant, on ne peut pas vraiment dire que ses deux compères soient en reste : depuis LULU en 2020, Conway The Machine est sur une sacrée lancée ; quant à Benny The Butcher, sa discrétion n’a d’égal que la qualité de son travail. Ainsi, depuis qu’il a explosé sur la scène rap avec Tana Talk 3, il a livré deux numéros de The Plugs I Met, une paire d’EPs pour le label Black Soprano Family (dont le très bon Pyrex Picasso) et un album extrêmement solide pour Griselda Records Burden of Proof, en 2020. Peut-on parler d’un rappeur sous-estimé ? Certainement. Qui connaît son âge d’or ? Aussi.

Après Conway avec God Don’t Make Mistakes et avant un nouveau Westside Gunn (enfin on suppose, mais vu la productivité habituelle du trio, on ne prend pas trop de risques), c’est à Benny The Butcher de sortir de la trap house avec Tana Talk 4. Ou comment référencer ce qui est considéré comme son disque le plus important à un moment de sa carrière où il n’a jamais autant semblé dans un fauteuil. Pour autant, Benny The Butcher ne donne pas dans le copier / coller : il avait déjà démontré sa capacité à s’éloigner des codes du « coke rap » en laissant toute la production de Burden of Proof à Hit-Boy (monsieur « Niggas in Paris ») et ici, si les beats de The Alchemist ou du producteur maison Daringer jouent assez clairement la carte de la crasse et de la noirceur, c’est plutôt dans ses textes que Ben le boucher semble laisser un petit peu de place à la nouveauté : dans un genre musical peu réceptif aux épanchements et autres peines de cœur, le rappeur de Buffalo laisse apparaître à quelques (trop) rares occasions les fêlures inhérentes à une vie passée à ne pas mourir – en 2020 encore, il se prenait une balle en pleine jambe et en plein après-midi sur un parking de supermarché de Houston. En outre, on s’étonne de l’entendre conseiller aux plus jeunes générations d’abandonner le deal (« The first chance you get, you better get out this shit ») après avoir dispensé ses meilleurs conseils de drug kingpin sur « Ten More Commandments », version 'augmentée' des « Ten Crack Commandements » du Notorious Big, et édictés sur Life After Death, un album qui est sorti presque 25 ans jour pour jour avant Tana Talk 4.  

Pour autant, Tana Talk 4 reste un album de coke rap, avec toute la mythologie, les abus de langage et les bravacheries qui vont avec : ça se vante à n’en plus finir, ça raconte ses exploits d’hier et d’aujourd’hui à grands renforts de namedropping, ça tance la concurrence et ça balance moult références à la préparation et la commercialisation du produit. Rien de bien neuf, donc, de la part d’un rappeur qui a fait de son charisme sa meilleure arme. Car il faut le dire : niveau technique, il est un gros cran en-dessous de ses deux compères, et cela s’entend dès qu’ils débarquent. L’écart qui le sépare de la concurrence peut même devenir un gouffre, comme quand J. Cole est en lévitation sur « John P’s Caddy », que notre chouchou Stove God Cooks joue à son meilleur niveau sur le menaçant « Back 2x » ou que Boldy James se met au diapason de la production minimaliste de The Alchemist sur « Weekends in the Perry’s ». D’ailleurs, ces incroyables titres sont tous placés en ouverture de disque, ce qui pose le plus gros problème de TT4 : ils créent des attentes démesurées pour le suite, que Benny The Butcher et son entourage ne sont pas toujours en mesure de combler, nous laissant en bouche un goût de trop peu probablement injustifié.

Le goût des autres :