Tambour Vision
Bertrand Belin
Imaginez-vous dans une salle des fêtes remplie de chanteurs et de chanteuses. Il y a quelques tauliers qu’on n’ose pas trop importuner, de vielles idoles qui radotent, une diva qui se fait prier pour pousser la chansonnette et puis il y a cet·te artiste que vous n’aviez pas encore remarqué·e et qui a capté votre regard. Vous auriez pu passer la soirée sans l’apercevoir mais son magnétisme, son élégance et son économie de moyens ont quelque chose d’irrésistible et vous savez que jusqu’aux petites heures de la nuit, régulièrement, vous scruterez la salle pour connaître ses gestes.
Bertrand Belin est de cette trempe. Voilà près de 20 ans que ce fils de pêcheur, sous son flegme de poète breton, pose son regard acéré sur une société qui dévisse et sur des individus (des gens dirait-il plutôt) qui se débattent avec leurs aspirations et leurs destinées. Une carrière faite de chansons, de romans, de rôles au théâtre ou au cinéma, un parcours généreux mais sans esbroufe, une trajectoire irrégulière mais limpide.
Pour ce septième album studio, on retrouve le dispositif musical cher à Belin : des thèmes simples, répétés, accrocheurs et des variations que seules les écoutes attentives et successives dévoilent. Désireux toutefois de proposer quelque chose de nouveau, le Breton a troqué la minéralité rugueuse de Persona pour un univers synthétique, où les boites à rythme, les synthés, parfois les cuivres, dessinent une douce atmosphère électronique qui invite aux mouvements de tête et de bras.
Mais attention, Tambour Vision n’est pas ce petit disque pop-électro qui vous fera passer le temps jusqu’à la Côte d’Azur ou le Pays Basque cet été. Car comme toujours chez Belin, la musique n’est là que pour servir une voix (toujours aussi mystérieuse et sensuelle) mais surtout des textes, ciselés, débarrassés du gras, taillés à l’os. Ainsi dès l’ouverture de l’album : "Carnaval, J'ai vu le cul, De ma tête, J'ai crié victoire, J'ai crié défaite". Tout est déjà là : la poésie, l’âpreté, la vie. Et qu’on passe des héritages alcooliques de "Que Dalle Tout" à un rock feutré qui fait rimer Alleluia avec Be pop A Lula, jusqu’à un "Maitre du Luth" qu’on imagine très bien dans l’Imprudence d’Alain Bashung, tout transpire le réel, dans toute son ambivalence. Comme il le résume dans le sublime La Comédie :
"La comédie ou le drame,
Peut à nouveau hisser pavillon,
Carnaval,
La ville est remplie de silhouettes matinales,
De diagonales,
Au-dedans de moi,
Le souffle épique de la guerre de Troie,
Je connais cette musique,
Mais je ne l'aime pas".
Une fois de plus, Bertrand Belin nous invite à l’introspection et à la contemplation, à voir ce qui est beau et ce qui ne l’est pas, à jouir de l'ironie et de la poésie pour soulager nos pauvres destinées d’êtres humains. Ne nous en privons pas.