SVR
Kaaris et Kalash Criminel
Le climat n'est plus trop trop à la (gué)guerre dans le rap. Maintenant, tout le monde se serre les coudes - on vous en parlait en filigrane de notre critique du dernier grand album choral de JuL. Du coup, on en aurait presque oublié que le rap a aussi le droit de bourrer dans le mou. Sans même parler de clash, ou de punchline incendiaire comme celle de Benjamin Epps il y a peu, on doit bien admettre que ça nous fait zizir quand de méchants rappeurs se décident à bourrer dans le mou, tel La Fouine en 2008. Naturellement, un album réunissant Kaaris et Kalash Criminel, deux des rares rappeurs qui persévèrent dans le hardcore, ne pour que nous exciter.
L'un est barbu, l'autre est cagoulé. L'un est reconnu pour la finesse de son hardcore, l'autre pour la brutalité qu'il injecte à sa sagesse. Ce duo pas comme les autres a fait parler la poudre pour la première fois en 2016 dans un morceau d'une sauvagerie exceptionnelle, "Arrêt du cœur". À cette époque, Kalash Crimi n'était qu'un rookie, mais les années ont passé et l'auteur de Sélection Naturelle a pu montrer de quel bois il se chauffait. Loin d'être un rejeton de Riskaa, Crimi a montré sa valeur à coup de punchlines dont la violence n'a d'égal que le hurlement de rire qu'elles déclenchent. En bref, Kalash Criminel est monté au niveau où Kaaris est descendu après avoir connu son heure de gloire entre 2012 et 2016. Quelques ouvertures malheureuses de sa part ont pu nous faire douter de sa place de canonnier en chef et de leader d'une forme d'horrorcore 2.0 en France, mais son dernier projet solo a permis de redorer le blason. À cet album commun, SVR, de le confirmer, une fois de plus.
Avec une intro telle que "C'est nous les OG", nul besoin de dire que ladite confirmation ne s'est pas fait attendre ! SVR est bien ce disque sale que l'on attendait de ces deux zouaves. Une brutalité étalée sur 46 minutes, quelques images marquantes, une alchimie évidente... Peut-être légèrement en retrait sur quelques pistes phares ( "Tchalla" notamment), Kaaris se montre néanmoins incisif, apeurant et drôle à la fois là où un Kalash Criminel en très grande forme fait rayonner sa science du verbe quasi systématiquement, entre références footballistiques et une adoration cyclique pour les trois orifices. Les deux pointures de Sevran jouent ainsi à qui sera le plus hardcore sans jamais alléger leur technique, bien au contraire. Chaque morceau est un duel où personne ne retient les coups. L'intensité est réelle dans cet album littéralement monstrueux qui convoque les armes à feu, les bains de sang et les pires mœurs sexuelles imaginables. C'est terriblement bête et d'une méchanceté rare, et ça ne souhaite clairement pas s'élever plus haut que ça ("Fils d'immigré, j'préfère avoir un flingue qu'avoir un livre", dixit Kaaris).
Dans ce bal de violence extrême, nos quelques regrets seront surtout sur l'excès de refrains chantés dont se rend coupable Kaaris, hors-sujets dans ce four qu'est SVR. Cette légère fausse note ne vient néanmoins pas ternir notre opinion au sujet d'un des rares albums collaboratifs entre deux têtes d'affiche du rap de 2022 - une réussite bienvenue après l'échec du Horizon Vertical de Vald et Heuss l'enfoiré, ou celui de Jamais 203 de Despo Rutti, Guizmo et Mokless. Sans pour autant se placer au niveau du monument qu'est Ol'Kainry & Dany Dan, SVR est une bien "belle" bromance qui donnera, peut-être, l'envie à d'autres de tenter eux aussi une "union belliqueuse"...