Surveillance
Painted Caves
L'époque actuelle fait une large place à des œuvres musicales sombres, opaques et denses, comme un miroir de notre société où tout semble gentiment foutre le camp. Discours de vieux con décliniste, me direz-vous. Sûrement un peu. Pourtant, sur ce tas de fumier sociétal poussent des roses auditives. Après tout, rien de neuf là-dedans, chaque décennie ayant apporté son lot de courants et sous-courants musicaux.
Cela ne vous aura certainement pas échappé, la période est au «dark». Sauf qu'entre la dark techno, le dark ambient, ou le dark menuet, on a l'étrange impression de donner dans le carré noir sur fond noir. En sus, les clones et les suiveurs pullulent, si bien que le bon grain se noie dans l'ivraie. Bien installés, les labels comme Modern Love, Stroboscopic Artefacts, Blackest Ever Black ou Hospital Productions restent au-dessus de la mêlée à regarder tout ce petit monde s'étriper et chercher sa place sous ce soleil noir. Dans tout ce fatras figure en bonne place et dans ce qu'on qualifierait de bon grain, le duo Barn Owl. Tout en continuant de distiller un drone mystique et mouvant, les Américains ont rajouté une teinte anthracite à leurs compositions au fil des années. Pour s'en convaincre, il suffit de comparer Ancestral Star sorti en 2009 et V sorti cette année. Il n'est alors pas étonnant que lorsque la moitié du duo se décide à sortir un projet en solo, celui-ci n'officie pas dans la pop gaie et sucrée. Pour ce projet, Evan Caminiti a choisi de revêtir son masque de Painted Caves, nom qui sied à merveille à sa musique. Les présentations faites, il est grand temps de s'atteler à ce premier album du producteur de San Francisco.
Surveillance est une œuvre assez succincte – une trentaine de minutes - si l'on se réfère aux standards du genre qui ne jure que par des morceaux fleuves. Loin d'être une critique, cet aspect est plutôt l'un des atouts de cet album. En effet, par zèle de noirceur, de trop nombreux producteurs tentent des immersions longues et pénibles qui, loin d'attiser nos sentiments les plus sombres et inavouables, font le plus souvent l'effet du Valium. Au premier abord, Painted Caves ne semble rien apporter au genre et semble voguer sur la vague dark du moment. Noir c'est noir. Pourtant, si l'on s'y penche d'un peu plus près, Surveillance n'est pas une de ces œuvres immersives et suffocantes comme il en existe en nombre pléthorique ces derniers temps. On se laisserait habilement leurrer par ce qui paraît être une pièce musicale uniquement sombre et monolithique, mais cela serait trop grossier pour l'orfèvre qu'est Evan Caminiti. Ainsi, des raies lumineuses salvatrices percent les ténèbres environnantes pour permettre de s'habituer à la pénombre. Cet acuité visuelle retrouvée, il est alors possible de déceler les anfractuosités et recoins de cet album. Et c'est seulement à ce moment-là que l'on peut entrevoir toute la grandeur de Surveillance. Cette subtilité dans la composition, couplée à une production chirurgicale, offrent à cette œuvre une profondeur que peu d'artistes atteignent, trop occupés à vouloir creuser trop profond dans ce sillon dark. Painted Caves pénètre les abîmes avec majesté pour y regarder au plus profond et en tirer la substantifique moelle.
Pour autant, n'allez pas chercher dans cet artefact une quelconque révolution au sein du royaume des ombres, ce n'est certainement pas l'ambition de ce premier album. Néanmoins, Painted Caves, sans prétendre au trône, mérite amplement son titre de noblesse. Tout cela, sans armes, ni haine, ni violence.