Supreme Balloon
Matmos
Jamais à court de concept-albums, le duo Matmos, après avoir revisité les salles d’opérations chirurgicales (A Chance To Cut Is A Chance To Cure) autant que les possibilités d’une electronica moyenâgeuse (The Civil War), s’en prend cette fois ci au joli petit monde des synthétiseurs en ne privilégiant pour ce Supreme Balloon qu’un usage exclusif de ceux-ci, histoire de nous prouver que l’electronica peut en revenir à des bases simples. Premier constat de taille, la configuration des titres : sept pièces dont la majorité n’excède pas le cap des quatre minutes, avec en son centre une pièce dépassant vingt-quatre minutes (nous y reviendrons).
Les premières pièces de ce Supreme Balloon auraient pu n’en former qu’une seule tant la cohésion qui les lie entre elles est forte : ébauche d’electronica moderne, ce début d’album fait la part belle aux sonorités ludiques et candides, approchant de manière exigeante un contenu autrement moins sérieux dans la forme. Les titres passent avec une facilité déconcertante et transporte immédiatement l’auditeur vers des espaces de rêveries pop non dissimulés (avec une relecture plus que réussie du titre « Les Folies Françaises » en prime). Aussi facilement qu’on se demande, à mesure que les titres avancent, à quoi le titre « Supreme Balloon » va nous exposer. On se fait vite à l’idée que cette poignée de chansonnettes poptronica n’est qu’un faire-valoir par rapport à l’énorme pièce qui arrive, la cavalerie n’étant sur un champ de bataille, qu’une protection de plus pour un général essentiel au cœur de l’affrontement.
« Supreme Balloon » est là, débute tout en douceur sur un flot de claviers grésillants et de nappes à l’état fœtal. Sur cette imagerie sonore réduite prennent naissance les premières variations du son, ouvertes sur un champ sonore indien pour mieux basculer sur l’immensité de ces claviers à l’épaisseur de plus en plus dense. Nous y voilà, embarqués dans une navette à destination de nulle part, avec plus d’une quinzaine de claviers comme nouveaux amis qui se répondent avec sérénité, ne faisant aucune violence à une progression jusqu’ici parfaite. Jusqu’ici et bien plus même car les mutations incessantes finissent par retomber dans une immersion subaquatique (Brian Eno n’étant jamais fort loin) de notes empruntées à l’éternité elle-même, rappelant Kraftwerk et ses post-compagnons d’infortune (Arpanet, Dopplereffekt). Cette longue et implacable épopée raconte l’histoire d’hommes trop pressés, de bonheurs fragiles, de vide insondables, d’espérances gâchées, bref de choses aussi futiles qu’indispensables. L’humeur dans laquelle vous vous trouvez au moment de l’écoute n’étant ici que la seule variable à opposer à ce traitement parfait.
Une fois à son point d’orgue, les deux compères ramènent l’objet de leur expérimentation finale vers des terres plus dépouillées pour y inclure des voix déformées à gauche et des claquements de guitare basse à droite. On se rend seulement compte avec ce final de toute beauté à quel point cette essai a pu nous troubler, nous toucher au plus profond de l’être sans que l’esprit n’ait eu vent à un seul moment de toute cette machinerie. « Cloudhoppers » ne fera que prolonger un tant soit peu ce rêve éveillé, véritable chef-d’œuvre d’electronica soyeuse.
Ce tour du monde des synthétiseurs laisse admiratif dans la capacité d’introspection dont fait preuve notre duo, une intelligence pratique qui se manifeste dans la justesse de l’instrument choisi. En faisant varier les intensités et les hauteurs, Matmos agit directement sur les couleurs qui font de ce court récital une œuvre kaléidoscopique, où tout fluctue au travers de déformations incessantes, où tout se rencontre sans jamais se faire de l’ombre. Conseillé.