Superior State
RENDEZ-VOUS
La présence de RENDEZ-VOUS dans la sphère musicale soulève l’éternelle question de l’état actuel du rock, et plus particulièrement du rock français : ce genre est-il bel et bien mort ? On ne saurait répondre autrement que par l’affirmative – même si ce genre d'affirmation fait débat à la rédaction. Il est aisé de constater que le rock a creusé sa tombe au fil des décennies sans jamais plus proposer de réel renouvellement, en continuant de l’apparenter toujours plus à la discographie sans fin d’Eric Clapton – une série de redites.
Au regard du hip-hop dont les élans contemporains ne cessent de briser les frontières, de faire se rencontrer les humeurs et les styles, de repousser l’expérience au point de ne plus trouver aucun lien avec ses racines, allant même jusqu’à phagocyter le rock, on se demande surtout aujourd’hui quelles seraient les raisons de continuer à explorer le genre s’il se fige ainsi en son être ou s’il ne peut plus rien apporter à l’évolution de la musique. C’est à cette dernière question que RENDEZ-VOUS vient répondre avec force.
Principalement, le groupe français s’attaque au post-punk dont les contours se rangent peut-être parmi les plus usés de la musique à guitare électrique: trop carrés ou anarchiques, tous les esprits énervés sont passés par là, au point de l’épuiser. Mais trop peu sont parvenus à mêler l’ordre à la cohue, à dresser le portrait d’un fantôme. Il ne s'agit pas de recoller ensemble les bouts de vase brisé, comme l'ont fait les premiers groupes de post-punk. Il s'agit de saisir avec méthode le moment où les poings rencontrent la porcelaine.
RENDEZ-VOUS se situe au-delà du chaos, des ruines ou de la reconstruction. Ils se saisissent de l'instant fatal. Leur manière devient oppressante et hypnotique, elle part avec discipline et rigueur vers une multitude de points de fuite, comme d’un artificier au bord du suicide. Leur matière quant à elle participe de ce mouvement viscéral avec une basse omniprésente, dense et presque palpable par le bide.
Et pourtant, dans ce nuage cold wave bien carré où les sons tombent aussi régulièrement que chez ArcelorMittal – quand les ouvriers s’activent à perdre leur âme en rythme – les voix rappellent d’autres anciens, proches de Depeche Mode ou de The Cure. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de retrouver au mastering Sarah Register qui s’est notamment occupé des premiers. Ces voix spectrales détonnent et se détachent de la rage mélodique par leur distance désincarnée. La colère se libère ainsi par moments nonchalants, en retrait, à l’exacte image de l’esthétique visuelle de l’album : la haine sourde des open-spaces, la force invisible des neuroleptiques.
Superior State est un album en crise, une œuvre terriblement de son temps. Son élégance suffit à apprécier cette allure datée quand sur le même moment ses références et ses expériences hybrides nous propulsent dans un renouveau salutaire, en passant par une foule de coins sombres. Sans aucun doute, RENDEZ-VOUS peut sauver le rock français de son marasme. Comme il nous rappelle que l’on peut apprendre sans fin du passé, vivre ses déchirures et échanger avec elles. Il nous rappelle que l’on n’est pas à l’abri de découvrir de nouvelles fulgurances dans des situations familières.