Summertime '06
Vince Staples
Si on n'a pas été complètement séduits pour le nouvel album de Meek Mill, le public américain ne s'y est pas trompé : le Dreams Worth More Than Money du protégé de Rick Ross se vend comme de la bonne came dans les projects de Baltimore, et à l’heure où j’écris ces lignes, le disque trône en tête du Billboard devant le Wildheart de Miguel et le 1989 de Taylor Swift. Le même jour débarquait également dans nos crèmeries un autre album porté par une major, et lui aussi très attendu: le Summertime ’06 de Vince Staples, que sort le mastodonte Def Jam Recordings. Et si Meek Mill a réussi à écouler plus de 165.000 copies de son second album studio en une semaine, Vince Staples en a vendu… 10 fois moins.
Un véritable four pour un des albums les plus attendus de 2015. Et un vrai paradoxe tant Summertime ’06 renvoie Dreams Worth More Than Money à ses chères études une fois que l'on a débarrassé ce dernier de ses (trop) nombreux apparats. Soyons cependant réalistes: si l’on exclut les anomalies à la To Pimp A Butterfly, les disques de rap qui se hissent au sommet des charts sont rarement les plus aventureux. Et en ce sens, les amateurs de hip hop un peu moins consensuel et prévisible qu’à l’accoutumée savent pertinemment que ces chiffres décevants peuvent dire deux choses: soit le disque est une sombre bouse, soit il va trop loin dans sa logique artistique pour réussir à fédérer. C'est évidemment cette seconde option qui fait de Summertime '06 une déception, mais en termes de vente uniquement.
Car sur le contenu, rien (ou presque) à redire: ça tient la route. Une constante dans la carrière d'un emcee qui a d'abord impressionné avec quelques mixtapes toutes plus indispensables les unes que les autres (avec un faible pour Stolen Youth et Shyne Coldchain vol. 2) avant de confirmer sur l'EP Hell Can Wait. Il faut dire que Vince Staples ne pas fait les choses comme tout le monde. Son flow d'abord: technique, félin et empreint d'une rage larvée, il est à l'exact opposé de la flamboyance des plus gros vendeurs du moment. Ses choix de production ensuite: là où la grosse majorité des big guns font leur shopping dans un catalogue de producteurs, Vince Staples préfère confier les rennes de son projet à No I.D., ancien mentor de Kanye West (ça s'entend sur l'introspectif "Might Be Wrong") et valeur sûre du game qui fait parler la poudre pour les plus grands depuis plus de 20 ans. Sa présence sur les trois quarts de titres permet à Summertime '06 de former un véritable bloc sonique, et à Vince Staples d'avancer ses pions avec plus de facilité sur des titres rugueux et squelettiques, mais d'une rythmique folle. Sa volonté de marcher seul enfin: un peu à l'image de J. Cole qui s'est passé de featurings sur son superbe 2014 Forest Hill Drive (un petit exploit dans le rap en 2015), le Californien ne laisse que très peu de place à ses invités pour s'exprimer. C'est bien simple: si l'on exclut le hook imparable de Future sur le single "Señorita", on est bien en peine de citer le nom des emcess conviés à la fête. On en revient alors à cette fameuse cohérence qui sert de fil rouge dans la manière dont on doit appréhender un disque qui ne cherche pas l'uppercut qui mettra directement K.O. mais enchaîne inlassablement les attaques dans les côtes et use avec un jeu de jambes vertigineux.
Dans ce concert de dithyrambes et d'arguments (on l'espère) convaincants, on en oublierait presque de préciser que Summertime '06 est un double-disque. Une grosse heure de son seulement, mais vingt titres quand même. Quand on vous disait que Vince Staples ne faisait pas les choses comme tout le monde.