Strange Weather, Isn't It?
!!! (chk chk chk)
Dans un monde libéré de contraintes commerciales, il n'est absolument pas certain que les Chk Chk Chk sortiraient des albums. Des singles, des maxis et des remixs, oui. Mais des albums? Dans un monde libéré de contraintes commerciales, c'est qu'ils auraient toute latitude pour s'en tenir à ce qu'ils font de mieux : les singes sur scène et en studio, des tracks d'un quart d'heure qui vous envoient valdinguer les sens dans une dimension parallèle; où l'ecstasy se respire, où les portes de la perception servent de dancefloor après avoir été arrachées de leurs gonds et jetées au sol. Le Chk Chk Chk idéal fait dans l'expérience sensorielle plutôt que dans la chanson, balance aux foules de la dance-music orgiaque et primitive plutôt que de tenter de dévier à sa façon les codes du rock ou pire, de la pop et du zouk. Dans ce genre qui est le leur, si on veut des chansons, on a les Talking Heads période africaine et les Happy Mondays d'il y a 20 ans, produits par la paire DJ Weatherall/Oakenfold. En d'autres termes, on a tout ce qu'il nous faut, merci. Les Chk Chk Chk ne sont pas assez grands compositeurs, encore moins paroliers pour rivaliser avec ces ancêtres. Leur génie, il est dans la drogue, le beat défoncé, les ambiances débiles, ce monstrueux résultat house-funk accouché d'improbables jams, cette chose qui donne envie de se faire tourner la quéquètte comme un hélicoptère; cette tambouille de trrrrrès grrrrros groove infectieux vrillant complètement le cerveau, de voix canaille racontant portenawak et de gimmicks toujours plus tordus les uns que les autres.
Sur le nouvel album, Strange Weather Isn't It, on a principalement un morceau qui répond parfaitement à ce critère. Il a pour nom "The Hammer" et s'inspire de la plus grosse des grosses techno décérébrée et extasiée qui puisse être : groove sadomaso, montée digne du Space Mountain et borborygmes sexuels en guise de paroles. Un vrai truc de foncedé, sur lequel on peut gigoter les balloches hors du pantalon, un sourire de Jack Nicholson en travers du visage. Problème : édité sur seulement 5 minutes, il est beaucoup trop court. Tout le disque est trop court, d'ailleurs : 9 morceaux sur 40 minutes, pas vraiment l'idéal pour un groupe pareil ! Pas un seul morceau qui ne s'étire vers la cinglitude comme jadis "Shit Sheisse Merde" ou "Me & Giuliani Down By The School Yard". Tout est y plutôt propret, passable en radio, il y a même de véritables moments WTF, à l'instar de cette chanson (on a pourtant dit : pas de chansons, les hommes-gueunons!!!) qui ressemble drôlement à du She Wants Revenge, ce groupe qui est à Depeche Mode ce que les Frères Taloche sont aux Monty Python's.
Alors, ce n'est pas que l'album soit mauvais, très loin de là. Il est même nettement meilleur que le rock zouk du balourd Myth Takes, à vrai dire. Retour au groove de gobeurs de plombs, aux influences biscornues (Soul II Soul, pas mal), aux bruitages tcharbés, aux guitares africaines, aux voix arrogantes... Mais c'est tout comme si il manquait à ce disque une bonne grosse demi-heure de folie tapageuse. Folie que l'on pressent, qui est même souvent la plus logique des suites dans la construction des morceaux. Mais qui au final, n'est jamais vraiment là ou alors, trop brève. C'est donc vraiment comme si la Main Invisible du Marché était passée par là armée de cisailles, un bouquin de bonne conduite tartiné par Nadine de Rotschild sous le bras. On aurait voulu un classique de mongolofunk vicieux et rigolard, on a surtout une putain de publicité pour les concerts à venir de l'une des meilleures formations live actuellement en activité. On attendait une leçon de groove sauvage, on se retrouve avec un teaser des carnages scéniques à venir. On attendait un album à se prendre grave mais alors vraiment grave dans les dents et on a simplement droit à un support promotionnel qui donne le goût du massacre, son envie, sa faim, mais ne rassasie jamais complètement. L'encule n'est pas amère. Disons plutôt que le panard chausse du 37 alors qu'on aurait aimé se vautrer dans des empreintes de Yéti.