Strange Mercy
St. Vincent
Annie Clark est la solution à la famine subsaharienne, le remède au cancer de la prostate, le sparadrap de la couche d’ozone. Il y a également de fortes chances pour que ce soit elle qui ait carbonisé Ben Laden. Elle l’a sondé de ses yeux de velours, il a vu que ce qu’il faisait était mal et s’est planté une balle tout seul. Annie est la créature mythique que tout homme rêve secrètement de retrouver chez lui après une longue journée de labeur, à jouer au solitaire sur son PC ou à coller des post-it sur sa grise vitre. Elle l’attendrait dans sa blouse translucide boutonnée jusqu’au menton et lui susurrerait à l’oreille qu’elle serait ravie de lui mariner la blanquette de son enfance tout en lui mettant la main au paquet. Annie, elle a sans doute un portrait qui vieillit à sa place dans son placard à produits ménagers. En plus, elle a une voix filtrée dans de la soie et elle écrit des chansons qui vous pulvérisent le cœur à la chevrotine.
Si on vous dit tout ça, c’est parce que c’est ce que vous lirez (ou avez déjà lu) un peu partout dans la presse au sujet de son troisième album, Strange Mercy. On aurait voulu vous convaincre que cela n’est pas aussi simple, qu’il y a du pour et du contre, que la demoiselle a aussi des failles, qu’il lui arrive même parfois de faire la grosse commission (à confirmer) mais voilà, on ne peut pas. Annie fait des miracles avec un trombone et un bout d’élastique.
Son sauvetage de la nature humaine (tant qu’on y est…) avait déjà été entamé sur Actor et sa vision pervertie des comptines de Walt Disney. Ce nouveau tour de piste lui permet d’approfondir un peu plus son penchant pour les paradoxes en jouant les fausses ingénues sur des synthés moites et des guitares martyrisées ("I don’t want to be your cheerleader no more...", l’entend-on d’ailleurs chantonner imprudemment). Single parfait, presque accidentel, "Cruel" couche les supplications de la belle sur un fond disco qui sera interrompu inopinément par des accords revêches. "Surgeon", quant à lui, s’éveille sur un clin d’œil à Nancy Sinatra (l’intro empruntée à "You Only Live Twice") pour s’ébattre ensuite dans une vicieuse sérénade. Rythmiques ambigües, voix diluée, érotisme diffus… St. Vincent distribue ses atouts à travers des mélodies millimétrées sans perdre de vue que la pop exige de la légèreté pour conserver l’attention. Un habile exercice de contrepoids qui assurera sans aucun doute à Strange Mercy sa place parmi les coups de cœur de cette année 2011. Et un peu plus si affinités…