Stone Rollin'
Raphael Saadiq
Etonnant virage que celui choisi par Raphael Saadiq ces trois dernières années. Après 20 ans de succès en groupes (au sein de Tony! Toni! Toné! puis de Lucy Pearl) et en solo (deux albums solides), The Way I See It apparaissait surtout comme un gros kiff personnel du chanteur californien, en adéquation avec la tendance retro-soul à la mode sur le moment. A la surprise de ses vieux fans, ce simple exercice de style a récolté un franc succès. Du coup, depuis, il ne sort plus sans ses wayfarers et son costume cintré...
Raphael aurait pu fermer la parenthèse et reprendre les choses là où il les avaient laissées à l'époque de Ray Ray (il y a déjà sept ans), il n'en sera rien. Bien au contraire, il persiste et signe dans la vague retro avec ce Stone Rollin' sans grande imagination. Car oui, si la fraîcheur et la qualité de The Way I See It en ont fait un album globalement réussi, l’effet de surprise et de nouveauté est ici totalement dissipé. On a, pour ainsi dire, l'impression d'écouter un simple deuxième volume de l'album précédent. Alors oui, bien sur, RS explore les méandres de la musique populaire d'avant pour en adopter toutes les subtilités, mais ça ne suffit pas. Le souci avec la musique d'avant, c'est qu'elle date... d'avant et que les aînés de Raphael en ont déjà fait le tour. Partant de là, on se demande quel peut être l'intérêt d'un album comme Stone Rollin'. C'est propre, bien fait et certains morceaux font même mouche, à l'image de la perle "Just Don't" avec Yukimi Nagano de Little Dragon ou, dans une moindre mesure, le single "Radio" ou "Movin' Down The Line". Mais il y a finalement quelque chose de frustrant à observer un artiste du calibre de Raphael Saadiq se borner à un exercice trop facile et trop feignant pour lui. On parle là d'un des plus grands compositeurs soul de notre temps avec D'Angelo ou Jill Scott, ici converti en simple avatar d'une mode rétrograde et stérile qui n'a que trop duré.
Evidemment, le succès est au rendez-vous et tout le monde adore ça (et oui, dans le fond, c'est un disque qui tient la route et qui se laisse écouter). Mais la soul sait aussi se conjuguer au présent. D'ailleurs Raphael Saadiq était de ceux qui arrivaient brillamment à le prouver. Résumer cette musique au son qui se faisait il y a 30 ou 40 ans, c'est un peu la tuer. Accessoirement, pour Raphael, c'est aussi une façon un peu triste de renier ses anciens faits d'armes.