stage of loyalty
Roma Zuckerman
Tout aventurier des réseaux sociaux a pu constater en pénétrant la jungle préhistorique des commentaires de publications concernant Nina Kraviz, que cette dernière subit un shitposting permanent, entre sexisme décomplexé et critique de sa technique de DJ – dans le genre "elle fait escort aussi la pousse-boutons ?".
Oublions les hordes d'incels, et rappelons plutôt que peu de figures dans la scène techno contemporaine ont autant d’influence et d’importance que Nina Kraviz. En plus de nous gratifier régulièrement de sets aux sélections que devraient jalouser 90% des DJs en activité, la Russe a fondé et gère depuis plus de 6 ans un label dont plus personne n’a besoin d'être convaincu de la qualité de chaque sortie. La quarantième release de la maison moscovite ne déroge pas à la règle, et stage of loyalty de Roma Zuckerman est un véritable parc d’attractions qui nous fait valser entre expérimentations IDM et missiles techno. Le producteur originaire de Sibérie nous trimballe allègrement de tracks à te retourner n’importe quel club de Tbilissi à Paris, à des moments plus introspectifs se rapprochant de l’électronique anglaise, le tout parsemé d’envolées de synthé faisant de l’œil à Laurie Spiegel ou Vangelis.
Sur toute la longueur de l’album, l’artiste combine avec un plaisir palpable l’âpreté expérimentale au désir insatiable de te mettre des fourmis plein les jambes. Les adeptes de bizarreries sataniques, omniprésentes dans le catalogue трип par la grâce de PTU, Biogen ou du prodige possédé Bjarki, ne seront ici pas en manque. Zuckerman distille du début à la fin de stage of loyalty des gémissements de créatures digitales inconnues, des vrombissements dantesques et des kicks à la rondeur pernicieuse. Le tout s’entremêlant de bruitages tout droit sortis de vieux jeux d’arcade ou de dessins animés pour enfants. Si bien que l’on ne peut s’empêcher d’imaginer Roma Zuckerman composer l’album autrement qu’en arborant un visage à la Richard D. James Album.
Le son du Russe est riche de textures insaisissables, aquatiques et cinglantes. "syntax process" et "ask vahid for hit" gèrent l’ouverture des festivités en bons videurs de fête foraine cheloue te poinçonnant ton ticket avec le plaisir sadique de savoir ce qui t’attend. "disposition" et son orgie de grincements bagarreurs donne la couleur des attractions à venir, de la bonne humeur aux contours brûlés à l’acid line. Le happy hardcore, né au milieu des années 90, injectait dans les sonorités souterraines de la fin des années 80 une bonne dose de fun à grand coup d’italo disco et d’eurodance. stage of loyalty s’empare des codes d’une techno qu’on pourrait qualifier de mentale – désignation que l’on dirait accouchée d’une après-midi 'remue-méninges' entre cadres sup' – et rhabille les Ricardo Villalobos et autre Donato Dozzy en livrant 9 morceaux à l’intensité joyeuse, et rappelle que produire un long format techno ambitieux et cohérent peut rimer avec plaisir plutôt qu’avec prétention.