Spare Ribs
Sleaford Mods
Depuis Austerity Dogs en 2013, Sleaford Mods a imposé son style sans jamais faire ne serait-ce qu'une minuscule concession. Une ligne de conduite reposant sur les instrumentales volontairement rachitiques d'Andrew Fearn sur lesquelles vient se poser le verbe aussi riche qu'énervé de Jason Williamson. Reconnaissable entre mille, le duo fonctionne de manière unique et semble évoluer en marge de tout le paysage musical actuel. Tellement atypique qu'on lui trouve peu d'artistes à qui le comparer et qu'on est bien obligé de se référer à ses productions précédentes pour avoir un point de repère. Sachant que rien ne ressemble plus à un album de Sleaford Mods qu'un autre album de Sleaford Mods, il serait tentant de réduire le binôme à deux cinquantenaires qui tiennent une recette gagnante, ne prennent pas de risques et sortent des disques pour ceux qui ne se sont pas encore lassés de leur modus operandi. Sans être complètement faux, ce point de vue reste quand même fort réducteur pour définir la production de Fearn et Williamson.
Ce qui est certain, c'est que Jason Williamson sait comment plier une production d'Andrew Fearn, ou du moins connaît-il une bonne façon de le faire et préfère ne pas révéler comment y parvenir. Un constat qui nous amène à penser que la variable d'ajustement et ce qui nous motive à revenir inlassablement vers Sleaford Mods se situe peut-être moins dans l'évidente théâtralité de Williamson que dans la discrétion et les productions dépouillées d'Andrew Fearn. Spare Ribs aurait d'ailleurs tendance à confirmer cet avis. La capacité de Fearn à produire du cheap (post) punk n'est plus à démontrer, mais on peut par contre s'étonner qu'il réussisse à exposer une formule relativement fermée à quelque chose de plus électronique. On s'explique. Jusqu'à English Tapas en 2017, ses créations jouaient à fond de balle la carte du "rap-post-punk" qui colle si bien à la peau du groupe. Deux ans plus tard, Eton Alive voyait Sleaford Mods aller vers quelque chose de plus électronique, mais aussi de plus bordélique. L'intention y était, Williamson faisait comme d'habitude le taf' mais le résultat était moins convaincant. Mais Spare Ribs réussit là où son prédécesseur échouait. En alliant la concision du post-punk aux sonorités électro, le groupe atteint un nouveau stade de création.
Sur le contenu, on pense que ça cause d'injustice, que la classe politique en prend pour son matricule et que tout ça trempe dans un humour plus mordant qu'un chien renifleur dans le camping du festival de Dour. Mais la vérité, c'est qu'on n'entrave rien aux textes de Williamson et que c'est comme ça depuis le début. Par contre, la grosse différence cette fois, c'est que Williamson n'est plus seul à tenir le crachoir. Et pour les rejoindre, le groupe a fait appel à deux invitées de marque : Amy Taylor (sur le tubesque "Nudge It") des sulfureux Amyl and The Sniffers et Billy Nomates (sur "Monk'N'Mindy") qui a tout de la fille spirituelle de Jason Williamson, et dont on vous disait le plus grand bien dans notre dossier Vulvet Underground. Des collaborations d'autant plus remarquables que Sleaford Mods a toujours donné l'impression de s'auto-suffire. Partout ailleurs sur le disque, Williamson et Fearn déroulent avec leur habituel talent et c'est un régal - si on doit retenir deux titres pour vous initier au disque, on citera "Top Room" et "Fishcakes".
On s'est longtemps posé la question de comprendre comment un duo si profondément anglais pouvait trouver un intérêt aussi marqué en dehors de son pays d'origine ? Comment un public belge, français ou suédois pouvait se sentir concerné par les références typiquement britanniques qui essaiment sur les albums de Sleaford Mods ? Une grande partie de la réponse tient dans l'authenticité du projet. Porte-parole assumé de la "working class", Sleaford Mods ne vend aucune image si ce n'est la sienne et celle de son vécu. Dur de ne pas être séduit par leur démarche quand elle est si sincère. De manière paradoxale, on sait que Sleaford Mods n'est jamais aussi bon que quand les temps sont mauvais. Vu la période qu'on traverse, on peut facilement déduire qu'on tient là un excellent disque.