Space Bar
Your Old Droog
La fin de l’année pointe le bout de son nez, et avec elle les sempiternels bilans. Que retiendra-t-on de cet exercice 2021 de rap US, si ce n’est que le rouleau compresseur ne manque toujours pas de carburant ? Que Tyler, The Creator est en train de devenir le David Bowie de sa génération ? Que Kanye West ne déchaîne jamais autant les foules que quand ses disques ne sont pas encore sortis ? Que Travis Scott ne sait pas organiser un festival correctement ? Franchement, on ne vous apprend rien avec ce genre de basses considérations. Par contre il est essentiel d’évoquer le cas Your Old Droog, car rares sont les rappeurs qui ont connu une telle annus mirabilis. En effet, si l’on compte Dump YOD: Krutoy Edition sorti en décembre dernier (et donc grand oublié des tops 2020), Space Bar est le cinquième album du rappeur / producteur de Brooklyn. Autrement dit, en l’espace de douze mois, il a pondu à peu près autant de disques que depuis le début de sa carrière en 2014.
Cette productivité, elle est en premier lieu le symbole d’une montée en puissance pour un rappeur que l’on a bien trop souvent limité à sa ressemblance avec Nas : son amour du boom bap, son timbre de voix et ses origines brooklynites ont souvent été un boulet accroché à la cheville d’un Your Old Droog qui réussit enfin à voler de ses propres ailes, comme Action Bronson avait su le faire en son temps, lui que l’on avait trop souvent considéré comme une version 2.0 de Ghostface Killah.
Mais le vrai game changer, c’est de s’être définitivement accroché au wagon de cette génération de rappeurs qui redonnent une seconde jeunesse à la vieille école de la côté est – on pense à Wiki, Mach-Hommy ou les gars de Griselda pour ne citer que ceux qui sont géographiquement proches de lui. Et dans cette clique de morts de faim, il y en a un avec qui ça a particulièrement matché, c’est Tha God Fahim, rappeur et producteur comme lui. En 2021, ces deux-là ne se sont quasiment pas quittés : Tha God Fahim a été producteur exécutif de Dump YOD: Krutoy Edition, pour ensuite s’arrimer à deux projets où lui et YOD partagent l’affiche (Tha Wolf on Wall St et Tha YOD Fahim). Et si ce dernier est moins visible sur Space Bar, il est indéniable que son style de production et sa façon très décontractée d’appréhender son art ont eu une influence évidente sur le hip hop caverneux du MC d’origine ukrainienne – des origines qu’il aura toujours revendiquées avec élégance, comme c’est encore le cas ici sur le clinquant « White Russian ».
Difficile donc de séparer Space Bar du travail titanesque fourni par Your Old Droog ces douze derniers mois. Car à l’image de tant d’autres aujourd’hui qui ont arrêté de penser leur carrière en termes de streams, de clips en forme de placement de produit et de playlist, le rappeur veut que son travail fonctionne comme une coulée continue – qui n’est pas toujours simple à contenir, on en convient. Bien sûr, des morceaux de bravoure à extraire de la masse, il y en a sur Space Bar (on pense tout de suite à « Meteor Man », sur lequel YOD est rejoint par un Lil Ugly Mane en lévitation), mais vouloir les surligner, c’est passer à côté de l’ambition portée par Your Old Droog, c’est ne pas comprendre que la vision qu’il a pour son rap ne peut s’appréhender en la reliant aux grands principes en vigueur dans l’industrie dite "traditionnelle". Éclater la concurrence, mais sans coup d’éclat, voilà l’objectif que s’est probablement fixé le bonhomme pour cette année 2021. Vous l’avez compris, il y est arrivé.