Sounds of the Universe
Depeche Mode
Revenus sur le devant de la scène avec l'excellent Playing the Angel, sorti voici quatre ans déjà, les trois quadragénaires de Depeche Mode, survivants des années 1980, n'allaient évidemment pas s'arrêter en si bon chemin de reconquête d'un succès à la fois critique et public. Bénéficiant des échos très favorables de la presse spécialisée, parvenant systématiquement à remplir des stades de football, désormais épaulés par un véritable artisan du son, Ben Hillier, et forts de l'expérience solo de Dave Gahan, les Anglais tentent aujourd'hui de renouer avec une dimension universaliste qu'ils connaissent bien si l'on se réfère au titre de l'un de leurs albums les plus importants, Music for the Masses, publié en 1987.
Pourtant, ce Sounds of the Universe n'offre peut-être pas, aux premières écoutes en tout cas, un niveau de qualité suffisant pour permettre à Depeche Mode d'obtenir des scores de ventes faramineux et des critiques très élogieuses de la part de celles et ceux qui n'y prêteront qu'une écoute inattentive. Car, si l'on excepte l'excellent single "Wrong", l'un de leurs meilleurs morceaux depuis longtemps et aux sonorités proches de l'indus de Nine Inch Nails, ce douzième album studio fait preuve, aux premiers abords, de faiblesses assez impardonnables, tant du point de vue des textes que des compositions, à tel point que les premières écoutes se révèlent assez catastrophiques et extrêmement décevantes, suscitant un déchaînement de réactions très négatives de la part de certains fans les plus absolus du groupe sur les forums Internet qui lui sont consacrés. Et il n'est peut-être pas utile de préciser que, contrairement à ce que d'aucuns espéraient, la version de l'album apparue sur la Toile quelques semaines avant la sortie officielle du disque n'est pas composée de démos (même si le morceau "Come Back" de la version finale est très différent de la version ayant fuité).
Ironiquement, c'est alors que sort dans les librairies un ouvrage tout entier consacré au talent littéraire de Martin L. Gore que les chansons de Sounds of the Universe constituent sans doute ce que le groupe a produit de pire depuis les années 1980, avec des textes d'une banalité et d'une platitude affolantes, dignes de la mythique "Can't Get Enough". La faute en incombe probablement d'abord à Dave Gahan, qui, s'il a désormais voix au chapitre, a prouvé, avec deux albums solo poussifs, que sa plume n'avait rien d'exceptionnel – c'est un euphémisme. "Come Back" et "In Chains", par exemple, aux paroles d'une naïveté déconcertante, ("Come Back to me / It's meant to be / I'll be waiting patiently"...) font pâle figure à côté de titres comme "Personal Jesus" ou "Home", unanimement célébrés depuis des années. Mais les textes de Gore lui-même déçoivent ici sérieusement, "Peace" et "Perfect", très premier degré, constituant des naufrages littéraires manifestes et tranchant avec la réputation de poète moderne et, surtout, de grand humoriste pince-sans-rire que le blondinet était parvenu à se confectionner au fil des ans et des sorties.
Sur un plan musical, le groupe a tenté de renouer avec la synth-pop des années 1980 en utilisant des machines analogiques de l'époque et en mettant de côté les techniques les plus modernes. A l'évidence, le résultat recherché a été atteint, certains morceaux présentant des ressemblances étroites avec des œuvres de l'heure de gloire de Depeche Mode, sans pour autant que Sounds of the Universe ne sonne comme un faux best of, contrairement à l'impression qui pouvait se dégager de Playing the Angel, par exemple, qui confinait parfois à la gentille autoparodie. Le vrai problème de cet opus, encore une fois aux premières écoutes, c'est l'absence de mélodies marquantes et un taux de remplissage avec des titres faiblards assez conséquent, de l'inutile instrumental "Spacewalker" aux poussifs "Jezebel" et "Corrupt", qui laissent un sentiment d'inachevé dans la seconde moitié du disque.
Heureusement, le talent de Depeche Mode suffit à intriguer l'auditeur et à lui donner envie de se repasser la galette, d'abord pour vérifier si Sounds of the Universe est vraiment aussi mauvais que cela (heureusement, non), puis par plaisir, tout simplement. En clair, et comme l'on dit aujourd'hui, cet album est un "grower", du genre de ceux qui ne se révèlent totalement qu'au fur et à mesure des écoutes patientes. Car il faut bien reconnaître que le groupe est parvenu à aligner une poignée de titres qui valent instantanément l'écoute, comme "Miles Away / The Truth Is", "Wrong" ou "Fragile Tension", à côté d'autres morceaux, certes loin d'être inoubliables, mais suffisamment bons pour, d'abord, accrocher l'oreille sans l'écorcher, puis s'avérer assez passionnants par la suite ("In Chains", "Hole to Feed", "Perfect"), pour, au final, scotcher l'auditeur à ses écouteurs ou ses enceintes, se repassant le disque en boucle.
Au final, donc, la catastrophe un temps envisagée n'aura pas lieu, loin de là. Sounds of the Universe est un album un brin exigeant, loin de l'accessibilité immédiate qu'un groupe comme Depeche Mode serait supposé fournir à ses millions de fans entièrement dévoués à sa cause. C'est ce qui explique probablement le déferlement de critiques constaté sur Internet, certains n'acceptant pas de devoir se repasser le disque plusieurs fois pour en percevoir toute la substantifique moëlle. A rebours, l'on peut être reconnaissants à Gore, Gahan et Fletcher pour cette audace assez incroyable, après 30 ans passés au sommet de la pop, à ne pas caresser l'auditeur dans le sens du poil et, au contraire, à solliciter son attention encore et encore, pour finir par livrer un album absolument hypnotisant et envoûtant, dans la lignée des classiques du groupe. Pour une formation que l'on disait aussi éphémère que la mode, ce n'est pas un mince exploit.