SOPHIE
SOPHIE
Il est sûr que, vu le délai entre le décès malheureux de SOPHIE en 2021 et la sortie du présent album, on pourra difficilement le classer dans la même catégorie que Life After Death de Biggie par exemple, sorti deux semaines à peine après sa mort et intégralement mis en boîte avant qu'il ne se fasse assassiner à Los Angeles. En réalité, on le rapprocherait davantage dans sa construction de la catégorie à laquelle appartient l’excellent Circles de Mac Miller. Si c’est en grande partie Jon Brion qui s’occupa de terminer l’ultime album posthume de Mac Miller, ici c’est Benny Long, le frère de SOPHIE déjà crédité sur Oil of Every Pearl’s Un-Insides, qui a eu pour mission de donner vie à ce dernier disque de l'artiste écossaise.
Soutenu dans sa démarche par ses sœurs, celui-ci a assuré avoir suivi ce qu’il pensait être la vision de SOPHIE. On pourrait évidemment ergoter sur le sujet pendant des heures, mais sachez seulement qu’il a expliqué en interview avoir établi la tracklist de l’album à partir d'ébauches composées par SOPHIE, puis s’être contenté d’apporter quelques touches de mixage et de mastering sur les morceaux les plus aboutis, tout en reconnaissant avoir travaillé plus intensément sur d’autres morceaux qui ressemblaient au pire à des esquisses, et au mieux à des démos. On n’en saura pas plus.
Ceci dit, ne faudrait-il pas, comme nous y invite régulièrement à le faire le philosophe Bertrand Caroy, se poser les bonnes questions. Une seule en réalité : qu’attend-on vraiment d’un album de SOPHIE qui a été achevé pendant les trois années qui ont suivi son décès ? Et bien pas grand-chose, au vu de tout le temps écoulé - si ce n'est la perspective de retrouver ce parfum jubilatoire qui se dégageait lorsqu’elle poussait la pop mainstream dans ses derniers retranchements. C’est un peu fort de café dit comme ça, mais après tout, c’est ce qui a fait le charme de sa musique : quand le fun, le troll et l’expé se rejoignent pour donner vie à l’œuvre d’une artiste pop parmi les plus influentes des années 2000, le plaisir est total. Mais passé ce seuil d’exigence sûrement trop élevé pour un album qui n’a pas pu être achevé du vivant de son autrice, on s’attend à quelque chose qui manquera d’audace, mais aura au moins l'élégance de ne pas sombrer dans le convenu. Un équilibre difficile à trouver pour un album sans prétention, qui ne s’est jamais présenté comme un game changer ni comme une suite au désormais légendaire Oil of Every Pearl’s Un-Insides. Et tous ces éléments se retrouvent bien dans SOPHIE.
Remplaçons la bien trop stéréotypée Martine par SOPHIE et on obtient « SOPHIE s'amuse à créer de l’ambient flippant » (les boucles interminables du morceau d’intro qui semblent tout droit sorties d’un robot qui se vengerait en mode Basilic de Roko), « SOPHIE s’illustre dans le spoken word matrixant » (les morceaux avec Juliana Huxtable et Nina Kraviz), « SOPHIE fait dans l’clubbing » (le milieu du disque) ou encore « SOPHIE nous fait pleurer de joie avec ses khos » (la fin de la galette avec ses amies Hannah Diamond et Cecile Believe). En bref, SOPHIE s’amuse, sans jamais céder le pas à sa propre caricature, et tout cela dans un joyeux bordel qui frôle les 70 minutes, comme si ce moment retrouvé avec SOPHIE ne voulait jamais s'arrêter. Pas mal de sessions d’enregistrement étant le fruit de fêtes lors desquelles il lui arrivait d’improviser, le disque a un côté très spontané et paradoxalement très… vivant. Proses hallucinées, bangers désinhibants, hymnes émancipateurs, parties vocales sévèrement pitchées et pétarades synthétiques qui crépitent comme des prouts de chipmunks, oui c’est bien un disque de SOPHIE que l’on écoute, malgré un impressionnant parterre d’invités qui n’arrivent jamais à éclipser le génie tantôt fugace, tantôt évident de la Britannique.
Et parce que ce disque-ci, quoiqu'on en dise, sera comparé à son prédécesseur, un minimum de recul s'imposera. En effet, il ne faut pas oublier que Oil of Every Pearl’s Un-Insides était aussi un sacré foutoir rempli d’expérimentations, certes plus risquées et mémorables que sur cet album posthume. En réalité, cet ultime projet a tendance à humaniser SOPHIE, à en faire une personne imparfaite, un peu tête en l’air, parfois difficile à suivre, mais totalement libre et bien loin du mythe figé que certains ont voulu créer. On sort alors de son écoute complètement ragaillardi, en imaginant dans le ciel étoilé SOPHIE nous sourire du coin des lèvres, le regard espiègle, avec même un petit clin d’œil en bonus, comme pour nous dire que si elle s’exclamait par l’intermédiaire des voix de Cecile Believe et Banoffee sur « Immaterial » : « You could be me and I could be you / Always the same and never the same / Day by day, life after life / Without my legs or my hair / Without my genes or my blood / With no name and with no type of story / Where do I live? / Tell me, where do I exist / We're just… Im-ma-ma-material, immaterial » c’était parce que peu importe ce qui lui arriverait, elle serait toujours parmi nous pour continuer à nous accompagner et à nous faire kiffer.