Smoke Ring For My Halo
Kurt Vile
Cette chronique n'a qu'un seul objet : comprendre comment des jeunes filles intelligentes et brillantes peuvent encore lire en 2011 cet historique hebdomadaire français monument de la presse féminine qu'est Elle. Oui je l'avoue: je ne comprend pas, et je pense que je ne suis pas le seul à me désoler chaque fin de semaine quand je vois les quatre lettres en capitale d'imprimerie débarquer dans le salon. Car oui, comment peut-on lire un magazine prétendument féministe qui fait l'apologie des régimes les plus grotesques qui soient avant chaque été, fait son beurre sur des mannequins dont l'anorexie physique et mentale ferait peur à un Somalien qui n'aurait pas vu Bernard Kouchner depuis 1992, qui nous bassine toutes les semaines avec l'écocitoyenneté tout en étant constitué à 90 % de publicités de femmes dénudées sur papier glacé et dont les 140 pages où ce tutoiement insupportable est de rigueur se lisent montre en main en 11 minutes 17 secondes? Je m'égare un peu mais vous allez comprendre.
Quelle ne fut pas ma surprise quand j'ai vu le top 3 musique de l'été du magazine: notre pauvre Kurt Vile coincé en deuxième position entre Wu Lyf et Cass McCombs - dont on se demande aussi ce qu'ils foutent là. Vous n'allez pas me faire croire que les lectrices de Elle s'écoutent Smoke Ring for My Halo for avant d'aller se faire une séance de step à la salle de gym en hypercentre ou de se tartiner de crème solaire sur la plage de Narbonne. Kurt Vile ?! Ce mec qui ne se lave les cheveux que toutes les trois semaines et qu'on croirait tout droit sorti de la fac de lettres de Seattle promotion 1990? Et puis quoi encore: leurs ancêtres écoutaient Five Leaves Left de Nick Drake en fumant des cigarettes au patchouli sur la plage d'Ibiza?
Bon ok, mais qu'en est-il de cet album me direz-vous ? Et bien on nous a présenté Kurt Vile comme le nouveau jeune prodige du songwriting folk-rock (vous avez remarqué qu'on nous en sort un un tous les 15 du mois depuis quelques temps) et cet album en particulier comme l'album de la maturité. Force est de constater que le jeune homme a du talent et possède un sens certain du riff et de l'arrangement. En effet, grâce à la production de John Agnello (Dinosaur Jr, Sonic Youth, Turbonegro) les morceaux semblent comme sortir d'une brume élégiaque sur laquelle KV vient poser sa voix traînante qui nous rappelle à s'y méprendre celle de Mark Arm de Mudhoney (on en revient à Seattle 90). Les morceaux alternent entre intimisme ("Baby's Arms", "Peeping Tomboy" ou le final "Ghost Town") et ballades acoustiques ou les quelques petits détails de production font la différence comme ce motif de harpe minimaliste sur On Tour. Quant à "Society Is My Friend", il n'aurait pas dépareillé sur un album de Bill Callahan tant on y retrouve ce côté répétitif et hypnotique articulé autour de motifs minimalistes.
L'album est tout à fait cohérent et bien construit et correspond bien musicalement aux canons folk : morceaux joués en picking, open tuning et textes soignés, le tout en développant un son propre et élégant. Quelques rares passages plus enlevés sont aussi à noter comme le très bon "Puppet To the Man". Alors oui Smoke Ring For My Halo est certes un bon disque, sans doute pas le chef d'oeuvre annoncé, mais promet en tous cas de belles choses à venir pour le déjà très prolifique Kurt Vile. Il manque juste encore un souffle, une ambition supplémentaire pour que le petit gars de Philadelphie passe dans la cour des grands.